Note de lecture
IMPOSSIBLE
Erri de Luca
(Gallimard 2020)
L’écrivain italien qui avait l’habitude de prendre pour cadre de ses premiers romans sa bonne ville de Naples, campe cette fois son intrigue dans le bureau feutré d’un juge d’instruction. Un dialogue âpre et subtil s’y déroule, comme dans un jeu du chat et de la souris, entre le magistrat et un vieil homme qu’il suspecte de meurtre. En effet, un homme a été retrouvé, dans les Dolomites, mort après une chute bizarre à l’aplomb d’une vire. C’est un randonneur se trouvant dans les parages qui a appelé les secours, en vain. L’enquête révèle que les deux hommes se connaissaient. L’un, dans sa jeunesse, était un militant d’extrême gauche pendant les « années de plomb » (tout comme l’auteur qui fut l’un des dirigeants du groupuscule armé « Lotta Continua »). L’autre, le mort, en était aussi, avant de trahir la cause et livrer ses camarades à la police. Pour le juge, la coïncidence est plus que troublante… « J’étais à cet endroit par hasard » se justifie le suspect, adepte, comme l’auteur, de la marche et de l’alpinisme en solitaire. Ce qui nous vaut quelques passages superbes sur son amour de la haute montagne, ce lieu de vertiges « où le verbe gagner n’existe pas ».
Le juge qui croit à la préméditation et pour qui « le communisme est une idée contre nature », ne comprend pas que l’on ne puisse avoir ni haine ni rancune envers un traitre. Il utilise toutes les ruses juridiques pour faire avouer un suspect qui lui oppose son éthique de militant révolutionnaire. « La fraternité est un sentiment politique par excellence…Le communisme c’est une fraternité…Quand il la perd, il cesse immédiatement et se change en hiérarchies et nouveaux privilèges » (Après Lotta Continua , Erri de Luca a embauché chez Fiat comme simple ouvrier).
Alors accident ou vengeance ? De Luca laisse le lecteur dans le doute. La vérité ( qui est révolutionnaire disait Gramsci) se trouve peut être dans les lettres que le narrateur adresse à sa compagne depuis sa prison. Ecrites sans une once de gras, elles n’en sont pas moins poignantes. Elles ponctuent avec amour ce livre d’honnête homme qui donne à réfléchir sur l’amitié et l’engagement politique.
P.J.
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