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Le Conseil National de la Résistance

 

...et l'utopie des résistants devint réalité

 

La Rencontre de la Pensée Critique du 30 avril, à quelques jours du 70è anniversaire de la publication du programme du Conseil National de la Résistance (15 mars 1944), était consacrée à une évocation du CNR et des oeuvres sociales d'EDF-GDF par François Duteil, Président de l'Institut d'histoire sociale des Mines et de l'Energie CGT.

 

Le conférencier avait choisi d'introduire son propos par une projection d'un extrait du film de Gilles Perret, Les jours Heureux. Quelques minutes pour planter le décor. Différents témoignages rappellent que les résistants étaient animés par des idéaux de liberté, de justice, de solidarité. Ils furent rapidement confrontés à des questions essentielles et difficiles : celle de leur mode de fonctionnement ; celle de l'union de leurs différentes organisations ; de la reconnaissance de l'autorité du Général de Gaulle ; et aussi de leur entente programmatique pour l'après-guerre. Toutes questions qui revêtirent une acuité particulière après le débarquement en Afrique du Nord et la victoire de Stalingrad, qui laissaient augurer une possible victoire prochaine. Mais toutes questions qui furent surmontées, de sorte que - c'est le sous-titre du film - « l'utopie des résistants devint réalité ».

 

 

François Duteil veut nous faire comprendre comment on en est venu au programme du CNR. Les gens voulaient bien se battre, risquer leur vie, et même mourir, mais ils voulaient savoir pourquoi. Et ils ne voulaient certainement pas que les mêmes reviennent sur le devant de la scène après la guerre. Il fallait proposer une perspective, et donc, -et d'abord, -faire l'union de la résistance dans ses multiples composantes.

 

On en est loin en 40 : la résistance est divisée et la bataille des ego bat son plein. Les premières actions de résistance revêtent un caractère individuel. Puis les mois passent. Le monde syndical entre en résistance1. Marcel Paul, important dirigeant de la CGT, jette les bases de l'Organisation spéciale. Les liens avec Londres se renforcent. Le Pacte germano-soviétique de non-agression avait placé le PCF dans une situation inconfortable (entre allégeance à Moscou et union de la nation française contre le fascisme hitlérien), mais l'invasion de la Russie par Hitler, en juin 1941, clarifie les choses : priorité à la lutte pour l'indépendance nationale. Le "Front national de lutte pour l'indépendance de la France" est créé mi-1941, et sa branche armée, les Francs-Tireurs Partisans (FTP), début 1942.

 

De Gaulle, de son côté, qui a bien perçu que la résistance était plutôt "à gauche", s'efforce de susciter des convergences. Il finira par faire le lien entre "libération nationale" (Londres) et "insurrection nationale" (Résistance). En octobre 1942, il confie à Jean Moulin la mission d'unifier la Résistance. En janvier 1943, il signe un accord politique avec le PCF (représenté par Fernand Grenier). La mission de J. Moulin avance d'abord péniblement, mais la victoire soviétique de Stalingrad, au printemps 1943, entraîne des avancées. La CGT est réunifiée le 17 avril 1943 (accords du Perreux). Le Conseil National de la Résistance (CNR) est créé le 27 mai, tandis que le Comité Français de Libération Nationale (CFLN), sorte de gouvernement provisoire, est créé à Alger le 3 juin. Le PCF le reconnaît immédiatement. Il y entrera en avril 1944 (Fernand Grenier, François Billoux).

LE PROGRAMME DU CNR

 

"LES JOURS HEUREUX"

 

Ière partie : plan d'action immédiate :

 

- nécessité de la lutte armée,

 

- reconnaissance du général de Gaulle et du CFLN,

 

- création des comités départementaux de libération et définition de leur rôle, différent de celui des FFI.

 

IIè partie : mesures à appliquer dès la libération du territoire :

 

- rétablissement de la démocratie, du suffrage universel et de la liberté de la presse,

 

- instauration d'une véritable démocratie économique et sociale (nationalisations, démocratie dans l'entreprise),

 

- mesures sociales (salaires, sécurité sociale, retraite par répartition,...)

 

LE PROGRAMME DU CNR

 

"LES JOURS HEUREUX"

 

Ière partie : plan d'action immédiate :

 

- nécessité de la lutte armée,

 

- reconnaissance du général de Gaulle et du CFLN,

 

- création des comités départementaux de libération et définition de leur rôle, différent de celui des FFI.

 

IIè partie : mesures à appliquer dès la libération du territoire :

 

- rétablissement de la démocratie, du suffrage universel et de la liberté de la presse,

 

- instauration d'une véritable démocratie économique et sociale (nationalisations, démocratie dans l'entreprise),

 

- mesures sociales (salaires, sécurité sociale, retraite par répartition,...)

 

Le programme du CNR (cf. encadré), sobrement et efficacement intitulé "Les jours heureux", est adopté à l'unanimité le 15 mars 1944. Il comporte deux volets : un plan d'action immédiate et un programme politique pour l'après guerre. « Dans la nuit de l'occupation, il suscite un formidable espoir », dit F. Duteil. C'est aussi Marcel Paul qui dit à Pierre Simon, futur 1er président d'EDF-GDF : « quelle belle France nous allons faire ! ». C'est un programme de compromis, certes, car il fallait mettre d'accord des organisations et des sensibilités politiques bien différentes, mais qui réussit à articuler progrès économique, progrès social et avancées démocratiques2. Et c'est un programme qui a inspiré l'action publique pendant tout l'immédiat après-guerre, de 1944 à 1947. Voilà pourquoi, au Panthéon des grands moments de notre histoire, il occupe une place si particulière.

 

Où en sommes-nous aujourd'hui ? Nous sommes entrés, et depuis longtemps, dans une période de remise en cause des avancées du programme du CNR. Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF, l'a exprimé on ne peut plus crûment, en octobre 2007, dans le magazine Challenges3. La "doctrine" Kessler est toujours là. S'agissant du marché de l'électricité, elle s'est traduite, en 2010, par la loi NOME (Nouvelle Organisation du Marché de l'Électricité). Un auditeur rappellera, au cours du débat, l'affaire ENRON en Californie4. Et François Duteil d'ajouter qu'elle reçoit même, maintenant, le renfort de l'actuel Président de la République et de son gouvernement qui multiplient les cadeaux au grand patronat et les atteintes au pouvoir d'achat des salariés, au code du travail, ainsi qu'aux institutions de protection sociale.

 

Les valeurs universelles de liberté, de justice, de solidarité, de tolérance, qui animaient les hommes et les femmes de la Résistance, que l'on retrouve dans Les jours heureux, et qui ont inspiré les politiques économiques et sociales d'après-guerre, n'inspirent plus les gouvernements néolibéraux d'aujourd'hui. Elles continuent, cependant, en dépit de la crise, de travailler les tréfonds de la société. L'assistance à Garibaldi, ce 30 avril, en était bien convaincue. Concluons ce compte rendu sur cette formule que François Duteil a eu plusieurs fois au cours de son intervention : Les jours heureux ne sont pas seulement un héritage, ils sont aussi un projet.

 

 

 

Daniel Amédro

 

 

 

1 Le premier numéro de "La vie ouvrière" paraît en janvier 1940.

 

2 Exemple de compromis : faut-il indemniser les actionnaires en nationalisant l'énergie ? Il y avait les pour et les contre, on s'en doute. Marcel Paul tranche : 1% pour les actionnaires, 1% pour les œuvres sociales d'EDF-GDF.

 

3 « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la sécurité sociale, paritarisme... À y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

 

4 Pour imposer à l'État de Californie ses tarifs d'électricité, la compagnie ENRON organise en 2001 une gigantesque panne d'électricité. Elle obtiendra gain de cause.