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 Maurice Fréchuret

 

Henri Matisse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeudi 11 septembre, Les Amis de la liberté inauguraient leur saison 2014-2015 avec une conférence sur Henri Matisse de Mr Fréchuret, ancien directeur des musées nationaux du XXè siècle des Alpes maritimes, en retraite depuis quelques semaines. Difficile de présenter en une heure une œuvre considérable couvrant plusieurs décennies ! Le conférencier choisit de présenter quatre œuvres particulières par les thèmes qu'elles abordent, qui se retrouvent chez de nombreux artistes. Son idée est de montrer que le travail de ces derniers "ne tombe pas du ciel" ; que les œuvres accumulées au cours du temps constituent pour eux un contexte (background) nourricier ; et même que chaque artiste, envisagé dans la longue durée, évolue, lui aussi. Ce projet va nous valoir - à partir de quatre tableaux de Matisse - un parcours riche, vivant et passionnant entre de multiples artistes, que Mr Fréchuret - et il insiste là-dessus - veut rapprocher, faire dialoguer, sans jamais les comparer.

 

 

Matisse est arrivé tard, et presque par hasard, à la peinture, à l'occasion d'une convalescence. L'homme choisit de devenir artiste sur son lit d'hôpital ; il entre en peinture comme on entre en religion.

 

 

 

1. Premier tableau de Matisse : La joie de vivre ou le bonheur de vivre, huile sur toile, 174 x 238, 1905. Ce tableau a été créé au tout début du siècle, à une époque où l'on pouvait encore placer une certaine espérance dans l'humanité. Les horreurs du XXè siècle n'étaient pas encore passées par là. Ici, c'est l'âge d'or. Même impression dans Luxe, calme et volupté, huile sur toile de 98,5 x 118,5 réalisée par Matisse en 1904. À noter, dans ce tableau, l'influence des pointillistes. La thématique du bonheur se retrouve encore en 1905 dans Pastoral avec ses corps alanguis, en 1905 toujours dans La japonaise au bord de l'eau et en 1907 dans Luxe I et Luxe 2 avec sa plage indemne de toute construction. On est dans l'Eden, le paradis sur terre.

 

Pierre Puvis de Chavannes avait traité ce sujet en 1887 avec Jeunes filles au bord de la mer , mais aussi Gustave Moreau, l'un des maîtres de Matisse (http://www.musee-moreau.fr/), ou Jérôme Bosch (http://www.zeno.org/Kunstwerke/A/Bosch,+Hieronymus). On peut aussi trouver des influences ailleurs que dans la peinture. Ainsi, le tympan de l'abbatiale de Conques.

 

Mais, bien sûr, il faut parler de Picasso ! Les deux artistes se connaissent, se toisent, s'épient. Voyez, par exemple, La joie de vivre en 1946, La guerre et la paix en 1952 et surtout, surtout, en 1907, deux ans après La joie de vivre, Les demoiselles d'Avignon !

 

Maurice Fréchuret cite encore Fernand Léger pour Deux tenant des fleurs, qui se caractérise par la disharmonie couleur-trait, celle-là n'étant plus enchâssée dans celui-ci ; enfin Yves Klein (http://www.yveskleinarchives.org/works/works1_fr.html) et Martial Raysse (http://www.martialraysse.com/oeuvres/).

 

2. Deuxième tableau : Le fauteuil rocaille, huile sur toile, 92 x 73, 1946. Peut-on parler ici de nature morte ? Aragon parlait de ce tableau comme d'un portrait de fauteuil. On le voit déjà apparaitre, en 1942, dans Danseuse et rocaille fauteuil sur un fond noir. Il est présent également dans un autre tableau de 1946, Intérieur jaune et bleu. Point commun de toutes ces oeuvres : les formes et les postures alanguies.

 

Elles peuvent être rapprochées du Fauteuil de Gauguin peint 60 ans avant par Van Gogh ou de la Femme nue dans une chaise à bascule de Picasso, créée dix ans plus tard1.

 

Quelle était la théorie sous-jacente à tout cela ? Mr Fréchuret - qui engage alors une brève réflexion relative à la théorie de l'art - cite d'abord Henri Matisse, qui disait : "Ce que j'ai en vue c'est l'équilibre, la pureté, le calme sans bouleversement ni distraction ; quelque chose où l'on puisse se reposer comme dans un fauteuil"2. L'art ne peut peut-être pas à lui seul guérir un individu malade, mais il peut y contribuer. Un art-médecine, en quelque sorte. La même inspiration se retrouve chez Fernand Léger quand il déclare à un journaliste : "Je trouve tristes ces hôpitaux aux murailles grises. Je les voudrais pleins de couleurs". Léger imagine un hôpital polychrome, des médecins chromatistes, des cures par la couleur3. Le conférencier cite enfin le peintre américain Sam Francis (1923-1994), très influencé par Matisse : "La peinture est plus que la peinture, plus qu'un art ; elle est quelque chose entre la poésie, la magie, la médecine et la connaissance"4.

 

3. La fenêtre, huile sur toile, 55 x 46, 1905. Elle est ouverte sur la mer, sur la couleur. Les bateaux ne sont plus que des taches, des suggestions de bateaux. Même chose pour les plantes. La fenêtre est une thématique singulière très forte dans l'histoire de la peinture5. Elle est présente chez Matisse dans Le rideau égyptien, dans Intérieur au cahier noir et dans Intérieur au violon.

 

Avant Matisse, Maurice Fréchuret cite Frau am Fenster6 de Caspar David Friedrich (1822) ; et après lui Femme à sa fenêtre de Salvador Dali (1925) et bien sûr aussi Picasso, avec Femme assise près d'une fenêtre (1932). Mais ce n'est pas tout. Il faut aussi considérer L'atelier au mimosa de Pierre Bonnard (1939), Paris par la fenêtre de Marc Chagall (1913), La clé des champs de René Magritte (1936).

 

Mais revenons à Matisse. Entre 1908 et 1912, il crée La conversation, auto-portrait de l'artiste en pyjama. La peinture se fait moins représentative, plus abstraite. Les formes et les couleurs suffisent. C'est encore plus évident avec Porte-fenêtre à Collioure, de 1914. Cette grande plage de noir est fascinante ; un noir qui peut peut-être nous amener à une rêverie… Mais Mr Fréchuret nous prévient : Matisse - comme Picasso - ne sera jamais abstrait. Il jouera avec la représentation, ce qui n'est pas la même chose.

 

4. La série des nus de dos, bas-reliefs en bronze à la cire perdue, 1909-1930. Les évolutions relevées pour la peinture, Mr Fréchuret les met aussi en évidence pour La série des nus de dos. Quatre bas-reliefs. Dans le premier, de 1909, les modèles sont encore assez précis. Le deuxième, de 1913, est plus "abstrait" ou plutôt plus stylisé, plus géométrique. Dans le troisième (1916), le dos est de plus en plus escamoté au profit des volumes. Et dans le quatrième (1930), on aboutit à quelque chose d'extrêmement épuré. On trouve un exemple saisissant de cette évolution de Matisse dans sa manière de traiter Notre Dame de Paris en 1902 et en 1914. En 1914, le pont est réduit à une courbe. Matisse est au seuil de l'abstraction, mais il n'a pas franchi la ligne. Il ne la franchira jamais.

 

D'autres artistes ont connu une trajectoire similaire. Par exemple Piet Mondrian7, qui peint des arbres entre 1909 et 1917, passant d'une manière très "fauve" à une autre très stylisée, très épurée. Par exemple aussi Picasso avec Le taureau. Lui aussi reste au seuil de l'abstraction sans franchir le pas.

 

Enfin, on retrouve l'influence de Matisse dans Agrigente de Nicolas de Staël (1953).

 

 

 

Mr Fréchuret termine sur cette idée : on peut rapprocher les oeuvres, les artistes ; les rapprocher sous l'éclairage d'un thème ou d'une idée qui font sens ; souligner des influences, des parentés ; les artistes viennent de quelque part, et leur oeuvre va aller vers un ailleurs… L'histoire de l'art est l'histoire de filiations. "Du passé ne faisons pas table rase !", lance-t-il un brin taquin… Rapprocher donc, mais surtout pas comparer ! À quelle aune le ferions-nous donc, au demeurant ?! Bravo l'artiste !

 

 

 

 

 

1 Voir ici d'autres femmes assises nues en intérieurs dans les peintures de Picasso.

 

 

2 Voir ici d'autres citations de Matisse.

 

 

3 Voir ici les suites concrètes apportées à cette idée.

 

 

4 Voir ici une brève présentation de Sam Francis.

 

 

5 D'autres fenêtres à voir ici.

 

 

6 Femme à la fenêtre.

 

 

7 Également connu sous le nom de Pieter Cornelis Mondriaan.