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Jacqueline Farache

 

 

 

 

 

La Sécurité sociale : une institution menacée ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Rencontre de la Pensée Critique du 4 décembre 2014

 

Jacqueline Farache, responsable de la CGT, actuellement membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), a été aussi membre de la Caisse nationale des allocations familiales et de la Caisse nationale des URSSAF1. La conférencière annonce un plan en trois points : 1) Un rappel historique sur le système français de protection sociale, 2) Les évolutions engagées depuis la création de la Sécurité sociale et 3) l'état actuel des menaces qui pèsent sur l'institution.

 

 

 

 

1. À la Libération, dans le programme du Conseil National de la Résistance Les jours heureux en particulier, la sécurité sociale est un élément de la refondation économique et sociale. Le concept de Sécurité sociale s'intègre dans la vision d'une société où l'emploi et le travail permettent au salarié de s'ouvrir des droits par les richesses qu'il produit. Les rédacteurs du programme du CNR, qui visaient à l'édification "d'un ordre social nouveau", et qui avaient donc en tête plus qu'une simple amélioration des dispositifs de protection sociale d'avant-guerre, avaient fait le choix non du modèle assurantiel bismarckien, financé par la cotisation sociale et ouvrant droit à prestations en raison de ces cotisations, mais du modèle "beveridgien", du nom de l'économiste britannique William Beveridge, promoteur d'un modèle universel, fondé sur l'impôt, et mettant en avant les idées d'unité, d'universalité et d'uniformité. C'est ainsi que le paragraphe de Les jours heureux consacré à la sécurité sociale parle non des salariés mais des citoyens. Mais ce qui a été mis en oeuvre a divergé de ce projet initial. Le système mis en place est hybride ; il tient à la fois du modèle bismarckien et du modèle beveridgien.

 

C'est ainsi que l'unité n'a pas été réalisée. Au lieu d'un système unique, nous avons, tout à la fois, un régime général, des régimes spéciaux et particuliers (antérieurs à l'ordonnance du 4 octobre 19452), des régimes de non salariés (travailleurs indépendants et professions libérales ; apparus après la guerre) et le maintien de la mutualité, dont la Mutualité Sociale Agricole (MSA).

 

Le régime général de sécurité sociale a été complété pour les salariés du privé :

 

  • par le maintien, on vient de le voir, de la mutualité

  • par des régimes conventionnels de retraite complémentaire :

    • AGIRC pour les cadres (1947)

    • ARRCO pour les non-cadres (1957)

  • par l'assurance chômage, en 1958, avec la création de l'UNEDIC

  • par des régimes de prévoyance, de retraite supplémentaire

 

L'objectif d'universalité, -quant à lui, -a été globalement atteint, en 1978 pour les allocations familiales, et en 1999 pour la santé (CMU : Couverture Maladie Universelle ; CMU-C : CMU complémentaire). Mais, -faut-il s'en étonner, -cela a eu comme corollaire que tous ceux qui combattaient la Sécurité sociale d'après-guerre ont pris prétexte de cette généralisation détachée du statut exclusif de salarié pour remettre en cause la légitimité d'un financement par cotisations sociales et demander de lui substituer l'impôt.

 

En ce qui concerne, enfin, le principe beveridgien d'uniformité de la prestation, il a été écarté pour le calcul des revenus de remplacement. Par exemple, l'indemnité journalière (IJ) en cas d'arrêt de travail est calculée en fonction du salaire, tout comme l'IJ maternité. Toutefois, récemment, une brèche a été pratiquée dans ce principe avec le plafonnement de l'IJ maladie.

 

La gestion du système, dans le programme du CNR Les jours heureux, devait se faire avec l'État. En fait, les conseils d'administration furent composés, dès l'origine, principalement par les représentants des assurés sociaux et des patrons, ces derniers étant minoritaires. En 1967, date-charnière, un paritarisme strict est instauré dans les conseils d'administration en même temps que sont supprimées les élections des administrateurs(trices) aux CA. Celles-ci seront rétablies en 1983, tandis qu'en 1996 les ordonnances Juppé inscriront le paritarisme dans le marbre de la loi. La loi de 2004 sur la santé, enfin, remplacera les CA et les administrateurs par de simples conseils et conseillers.

 

 

 

  1. Au fil du temps, un partage inadéquat des responsabilités et des financements va se développer. La crise économique du milieu des années 70, dite crise pétrolière, ouvre une nouvelle période donnant lieu à des réaménagements des positionnements relatifs de l'État, de la Sécurité sociale, de l'entreprise et de l'individu. La crise retentit sur la conception d'une Sécurité sociale bâtie alors que le développement économique et social était pensé autour des notions de plein emploi, de droit social et d'État social de droit3.

 

 

 

Tout d'abord, le travail se transforme ; et le système de Sécurité sociale, qui a été conçu dans un rapport étroit avec celui-ci, ne peut ne pas en être affecté. Les transformations ont nom : mondialisation des échanges, évolution des sciences et des techniques, nouvelles formes d'organisation du travail et de management, intensification de l'exploitation du travail dans le cadre de la course à la rentabilité financière et aux profits, perte de sens du travail, précarité, chômage.

 

Des avancées sont à noter, cependant, et spécialement le fait que les femmes, désormais, investissent massivement l'emploi, participant ainsi à l'augmentation considérable des richesses. Autres avancées, en 1981 : la retraite à 60 ans, la 5è semaine de congés payés et les 39 heures (devenues plus tard les 35 heures). La médecine a fait des progrès considérables. L'hôpital a changé de fond en comble. Les standards de logement (eau courante, eau chaude, chauffage, sanitaires…) ne sont plus du tout les mêmes. L'allongement de la durée de la vie est spectaculaire (même si des écarts importants demeurent entre professions).

 

Mais l'intensification de l'exploitation du travail produit aussi du chômage, des travailleurs pauvres ; elle accroît l'exposition à des risques professionnels nouveaux ; elle favorise l'explosion des troubles musculosquelettiques, le développement des psychopathologies…

 

Les rapports au sein de la famille changent aussi. Les femmes veulent pouvoir construire leur vie, avoir des enfants si elles le désirent, pouvoir les éduquer. La contraception et l'IVG bouleversent la donne pour elles - et aussi pour les couples - en permettant de réduire le nombre d'enfants non désirés. Beaucoup de décideurs exprimeront des craintes pour l'avenir économique du pays, mais celles-ci se révèleront infondées : il n'est que de considérer le taux de natalité français, qui est l'un des plus élevés d'Europe. L'accès d'un grand nombre de femmes au travail salarié modifie le rapport à l'éducation et à la garde des enfants. Les parents doivent concilier vie familiale, vie professionnelle et vie personnelle. L'aspiration forte de l'époque, qui est aussi un mot d'ordre, est "Le temps de vivre !".

 

La prolongation de l'âge de la scolarité obligatoire, la poursuite plus fréquente d'études supérieures, les difficultés grandissantes à trouver un emploi rapidement, allongent le temps de présence des jeunes au domicile des parents.

 

La baisse du nombre de mariages, la progression du nombre des naissances hors mariage, des divorces, des monoparentales et recomposées, sont des bouleversements sociétaux inédits.

 

L'entreprise est confrontée à ces questions, tout comme l'est le système de Sécurité sociale. Il résulte de ces tendances, en effet, beaucoup de situations nouvelles, une complexité plus grande des situations, des besoins sociaux nouveaux à satisfaire.

 

C'est ainsi que, pour la première fois depuis les débuts de l'humanité, quatre générations se côtoient de plus en plus fréquemment : enfants, parents, grands-parents et arrières grands-parents. Ceci pose de manière nouvelle la question des solidarités intergénérationnelles au sein des familles et au sein de la société.

 

L'allongement de la durée de vie se traduit, pour une partie de la population âgée, par des situations de dépendance qui représentent un risque nouveau dont le financement est sujet à débat. Qui, de la Sécurité sociale, de l'État et des familles, doit en assurer la responsabilité ? Et dans quelles proportions ?

 

 

 

Ces transformations, dont la liste n'est pas exhaustive, ont des conséquences sur la manière de concevoir la protection sociale et le rôle social de l'État. Les responsabilités de celui-ci dans le domaine de la santé vont évoluer.

 

 

 

La responsabilité directe de l'État va se trouver engagée, dans les années 80, à l'occasion de crises sanitaires (sang contaminé, maladie de Creutzfeldt-Jacob). Le scandale de l'amiante conduit à la mise en cause des employeurs des salariés exposés, mais aussi à la mise en cause de l'État, à qui le Conseil d'État reproche de ne pas avoir agi correctement. Il faut aussi citer la canicule de 2003, qui est restée dans toutes les mémoires. Ces crises provoquent une prise de conscience en matière de prévention et de réparation. Des procédures judiciaires sont instruites. L'Etat est contraint de se donner une doctrine sur la sécurité sanitaire. Le principe de précaution est conceptualisé, et de nouvelles formes de solidarité nationale sont mises en place pour indemniser les victimes (ex.: le Fond d'Indemnisation des Victimes de l'Amiante). L'Etat doit également infléchir sa politique dans un sens plus favorable à la prévention des risques sanitaires, et crée à cet effet des organismes de veille sanitaire et d'expertise. Enfin, il prend la main sur les questions de santé publique avec la création des Agences Régionales de Santé (ARS).

 

 

 

Autre enjeu majeur : la reconnaissance de la responsabilité des employeurs dans le domaine de la santé au travail et de la santé publique. Le système, en la matière, prévoit que tout accident du travail ou maladie professionnelle, déclarés et reconnus, doivent être pris en charge financièrement par les employeurs. Corollairement, leurs taux de cotisation sont modulés en fonction de leurs indicateurs dans ce domaine. Il y a donc là, pour les entreprises, un enjeu financier4. Mais il y en a un aussi pour la branche maladie de la Sécurité sociale car les accidents du travail ou maladies professionnelles qui ne sont pas déclarés ou reconnus sont financés par celle-ci, c'est-à-dire par les assurés sociaux, donc de manière indue.

 

La question de la prévention des risques professionnels reste posée. La stratégie du patronat consiste à comprimer le périmètre des risques professionnels reconnus, à contrôler l'accès à la connaissance scientifique, à masquer ses responsabilités, à affaiblir l'Inspection du travail.

 

Il est donc important de bien voir que l'action pour la déclaration et la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles, loin d'être particulière et circonscrite, renvoie au débat de fond sur le financement de la Sécurité sociale.

 

 

 

Au fil des années, l'Etat, pris en tenaille - traités européens obligent - entre des objectifs difficiles à concilier (limiter la dépense publique ; réduire les prélèvements obligatoires ; maintenir la cohésion sociale), et mis toujours plus sous pression par le patronat au nom de la compétitivité, s'est engagé dans la voie d'un nouveau partage des responsabilités entre lui-même, la Sécurité sociale, les organismes complémentaires et l'individu. Les gouvernements successifs ont entamé une profonde transformation du système de protection sociale : recul de la couverture sociale solidaire, élargissement de l'espace occupé par le privé (notamment dans le domaine de la santé et de la prévoyance, mais aussi dans celui de la petite enfance), mise à contribution des organismes complémentaires (mutuelles et institutions de prévoyance), appelés à suppléer partiellement ces reculs contre une élévation significative de la contribution financière des salariés.

 

Un glissement de conception du droit s'est opéré conjuguant le droit ouvert par le travail - contribuant à l'oeuvre collective de construction de la société - et des droits qui s'apparentent à de l'assistance pour répondre aux conséquences de la crise économique et sociale.

 

 

 

Le dossier de la perte d'autonomie témoigne de cette nouvelle répartition des responsabilités. Pour faire face à ce nouveau défi sans peser sur le "coût du travail", ni alourdir son budget, l'Etat cherche à diversifier les sources de financement. Une première disposition avait été prise avec la prestation solidarité récupérable sur succession, mais elle a dû être abandonnée car la population concernée n'y avait que très peu recours. En 2003, l'Allocation Pour l'Autonomie (APA) a donc été créée et confiée aux Conseils généraux. Elle est universelle, individualisée ; son montant est fixé en fonction des ressources et du handicap ; et elle ne donne pas lieu à un recours sur succession. Une Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie (CNSA) a été créée, alimentée par des transferts venant de l'assurance maladie et de l'assurance vieillesse, ce qui a suscité la réprobation d'un grand nombre d'organisations, qui souhaiteraient que la perte d'autonomie soit prise en charge par la Sécurité sociale.

 

 

 

Autre exemple de répartition nouvelle des responsabilités et des financements : le Revenu de Solidarité Active (RSA). Ce dispositif, qui a pris la suite du Revenu Minimum d'Insertion (RMI), a pour objectif affiché, rappelons-le, d'assurer une augmentation des ressources de ses bénéficiaires en cas de reprise d'un travail ou d'un accroissement des heures travaillées, et ce dès le premier euro gagné5. Mais alors que le RMI était à la charge exclusive du budget de l'Etat, le RSA qui le remplace est déporté sur la fiscalité locale, de sorte que, sur ce dossier aussi, les fondements de l'Etat social, garant de l'accès aux droits sociaux et fondamentaux, se trouvent fragilisés, voire remis en cause.

 

 

 

  1. La question se pose donc : quel est le devenir du financement de la protection sociale? Les termes du débat ont été posés dès 2007 par un rapport du Conseil Economique et Social. Quelle universalité de la protection sociale ? Quel partage des responsabilités ? Quel niveau pour les solidarités collectives de l'assurance sociale ? Quelle part pour le privé ? Quelle régulation d'ensemble ?

 

 

 

Aller vers plus d'universalisation serait rompre avec la conception originelle de la Sécurité sociale fondée, selon certains, sur la mutualisation des risques entre salariés, et encourager le financement de la cotisation sociale par l'impôt, étant entendu qu'au nom de la responsabilité il peut être prévu un reste à charge plus important pour les individus. Et c'est là que certains font intervenir ce qu'ils appellent le "bouclier social", c'est-à-dire la proposition de mise sous conditions de ressources des remboursements maladie et la détermination d'un "panier de soins" au-delà duquel la prise en charge serait individuelle6.

 

 

 

D'autres tirent argument du fait que les personnes exclues durablement du travail bénéficient cependant d'une protection sociale pour mettre en avant l'idée que le système n'est plus dépendant du statut de travailleur et donc de la cotisation. Idée qui n'est pas acceptable car on ne peut pas définir un système de Sécurité sociale à partir de situations qui, bien qu'elles puissent être durables, ne peuvent être considérées comme normales et viables à moyen et long terme. La solution est plutôt à chercher du côté de la mise en oeuvre effective de ce droit fondamental qu'est le droit au travail ; mais cela, beaucoup ont tendance à l'oublier, à ne pas vouloir le considérer.

 

 

 

D'autres encore, partant de l'idée que le concept de solidarité est exclusivement lié à celui d'universalité, distinguent les revenus de remplacement (indemnités journalières de maladie, indemnités de chômage, retraites), qui seraient financés par la cotisation (le contributif), et les autres prestations (soins, l'essentiel des prestations familiales), qui relèveraient de la solidarité nationale universelle financée par l'impôt. Le contributif continuerait d'être géré par les partenaires sociaux, tandis que le non-contributif relèverait de l'Etat au travers d'agences. Cette conception justifie le transfert des cotisations sociales dites "patronales" relatives aux risques "famille" et "santé" vers un financement par l'impôt7. Elle s'inscrit en franche rupture avec la conception originelle de la Sécurité sociale, que ce soit son architecture ou son mode de gestion.

 

 

 

La question du financement de la Sécurité sociale mérite un vrai débat citoyen. Les besoins de financement ont évolué alors que le chômage et la précarité pesaient sur les recettes de la Sécurité sociale. Les pouvoirs publics ont cherché de nouvelles ressources (CSG, CRDS, contribution de solidarité pour les personnes âgées, implication des collectivités). N'oublions pas qu'un point de croissance rapporterait six milliards d'euros au régime général, soit la plus grande partie du déficit actuel.

 

 

 

Dans ce débat, la question du "coût du travail" occupe une place centrale, et le patronat s'emploie avec détermination à ce qu'il en soit ainsi, usant abondamment, pour accréditer ses thèses, des comparaisons internationales.

 

Mais des arguments peuvent être opposés aux partisans de la baisse du "coût du travail" :

 

  • les prélèvements obligatoires (cotisations sociales et impôts) sont l'expression de choix politiques fondamentaux, propres à chaque pays, sur le niveau de socialisation de la satisfaction des besoins et de la lutte contre les inégalités ;

  • les comparaisons internationales, dans ce domaine, doivent être faites avec prudence car la notion de prélèvement obligatoire ne recouvre pas exactement la même chose, les mêmes ressources, d'un pays à l'autre ; comparaison n'est pas raison ;

  • la compétitivité de notre économie ne peut être appréhendée à partir de la seule comparaison des coûts du travail ; il faut y ajouter les coûts par unité d'oeuvre, c'est-à-dire l'ensemble des coûts rapportés à la production ; il faut prendre en compte la productivité du salarié qui, en France, arrive en tête ; il faut tenir compte de la qualité des infrastructures, de la formation, des services publics, et de ce point de vue la France n'est pas en retard ; ces "appuis logistiques" sont appréciés des investisseurs étrangers ;

  • Enfin, quand on évoque la concurrence étrangère, il n'est pas concevable d'espérer rivaliser avec les "coûts du travail" des pays émergents ; mais quel que soit l'écart réel entre les "coûts du travail" de ces pays et le nôtre, les importations en provenance de ces pays ne représentent guère plus que 6% du total des échanges de la France avec l'étranger ; deux tiers des échanges de biens se font au sein de l'Europe ; si dumping social il y a, c'est à ce niveau-là qu'il doit être recherché ;

 

On parle beaucoup de "coût du travail" comme cause principale de nos problèmes de compétitivité, mais des études mettent l'accent sur d'autres facteurs : les problèmes d'efficacité du capital, la dégradation du positionnement de la France dans le haut de gamme et les produits à forte valeur ajoutée, la faiblesse de la recherche-développement dans de nombreux secteurs, ou bien encore la faiblesse de l'investissement dans l'enseignement supérieur.

 

 

 

Le débat sur le rôle de la cotisation dans l'évolution du système de Sécurité sociale met en jeu une conception de la société. Contrairement au raisonnement qui oppose la cotisation à l'universalisation et à la solidarité, l'observation des faits démontre que la cotisation a permis l'évolution du système vers plus d'universalité et qu'elle a été, dès sa conception, un facteur de solidarité efficace entre bien portants et malades, entre actifs et retraités, entre ménages avec enfants et ménages sans enfant. Le développement du salariat, tout particulièrement celui des femmes, a renforcé l'efficacité de la cotisation sociale et le processus d'universalisation de la Sécurité sociale. Et ces objectifs d'universalisation de la Sécurité sociale ont été poursuivis et atteints alors même que le système avait été pensé avec un financement non par l'impôt (à la Beveridge) mais par les cotisations. La nature hybride de notre système se révèle finalement non exempte de vertus.

 

 

 

La CSG est assez symbolique de ce point de vue qui, caractérisée et revendiquée en France, par ses créateurs, comme un impôt, est désignée par la justice européenne comme une cotisation. De fait, elle ne peut être considérée comme "un impôt comme les autres" car elle présente beaucoup de caractéristiques de la cotisation : elle est proportionnelle comme la cotisation (alors que l'impôt est progressif), elle est affectée entièrement à la Sécurité sociale (alors que l'impôt ne peut être affecté) et elle est prélevée à 88% sur les salaires par les URSSAF. C'est dire que les experts et politiques qui veulent la rendre progressive et la fondre avec l'impôt sur le revenu n'ont en fait qu'une idée en tête : en finir avec notre régime de Sécurité sociale solidaire, financé par le travail, financé par la cotisation, qui disparaîtrait alors tout simplement.

 

 

 

On peut bien retourner le problème en tous sens, on en revient toujours à cette évidence : pour financer la Sécurité sociale il faut des moyens financiers, et ceux-ci ne peuvent provenir durablement de l'impôt, mais du travail, des bons salaires et des bonnes cotisations. À cet égard, les exonérations de cotisations sociales et les baisses de taux d'imposition consenties aux employeurs par tous les gouvernements ne vont pas du tout dans le bon sens car elles ne peuvent pas ne pas se traduire, à un moment ou à un autre, par moins de droits en matière de couverture sociale.

 

La cotisation sociale a d'autres mérites : elle accompagne immédiatement toute reprise économique car toute hausse de salaire, toute création d'emploi, toute nouvelle qualification génère des recettes automatiques pour la Sécurité sociale. Ce n'est pas le cas de l'impôt qui, lui, est arbitré chaque année et affecté au gré des décisions gouvernementales et parlementaires. Le salaire et la cotisation sociale ne sont pas les ennemis de la croissance, ils en sont les éléments essentiels !

 

 

 

En conclusion, l'évolution de la société conduit à une augmentation et à un changement des besoins de protection sociale. La question du financement et de la progression des recettes est primordiale pour demeurer dans un système solidaire, seul garant d'une protection sociale de bon niveau pour tous. Les moyens existent, mais leur répartition équitable reste à gagner. Le problème est que le terme même de "sécurité" est devenu insupportable aux tenants d'un libéralisme débridé : tous flexibles, tous précaires, et l'exploitation humaine n'en sera que plus rentable… dans l'immédiat. Le prix final de telles politiques, qui ont déjà été expérimentées, est connu : elles ont conduit l'humanité à la catastrophe.

 

 

 

Daniel Amédro

 

(d'après documents fournis par J. Farache)

 

 

 

Documents complémentaires (également fournis par J. Farache) :

 

  1. Le budget de la Sécurité sociale

  2. "Ni assurance, ni charité, la solidarité", par Alain Supiot (Le Monde diplomatique)

  3. Données sociales diverses

  4. Déclaration de la CGT au conseil d'installation de la CNAMT du 6 novembre 2014

  5. "Future loi de santé : le compte n'y est pas !" (Déclaration du Collectif Interassociatif Sur la Santé (CISS) du 10 septembre 2014)

  6. Campagne de reconquête de la Sécurité sociale - Argumentaire (document des commissions protection sociale" et "travail-santé" de la commission exécutive confédérale de la CGT)

  7. Qu'est-ce que la politique familiale en France ? - argumentaire de la CGT

 

 

 

 

2 Extrait de l'ordonnance : "Il est institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leurs capacités de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent".

 

3 Encore appelé "État providence". Il faut préférer, selon nous, la notion d'"État social de droit".

 

4 Lors du débat, une personne expliquera clairement, et avec force exemples concrets, les stratégies que peuvent mettre en oeuvre certaines entreprises pour que des accidents du travail ne soient pas déclarés comme tels mais comme maladies.

 

5 Le revenu garanti est défini en fonction des ressources d'activité professionnelle, de la configuration familiale du foyer, mais diminué des prestations sociales perçues (allocations familiales, prêt logement…) et des droits connexes (transport gratuit, aides sociales diverses…). Le questionnaire de six pages que doivent renseigner les demandeurs, qui confine à l'interrogatoire policier, est une véritable atteinte à leur dignité, ce qui explique en partie le taux impressionnant de non-recours à ce dispositif.

 

6 Cf. rapport Briet-Fragonard.

 

7 Seules subsisteraient les cotisations sociales "patronales" pour les accidents du travail, les maladies professionnelles et les indemnités journalières.