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Cliquez pour visualiser la vidéo de la conférence de Paul Euzière --->Liquidation de la résistance grecque

Et/ou retrouvez ci-dessous le texte de cette conférence

 

Les Amis de la Liberté

Jeudi 14 septembre 2017

« LA TENTATIVE DE LIQUIDATION DE LA RESISTANCE GRECQUE, PRELUDE A LA « GUERRE FROIDE  »

Paul Euzière
Président du Festival Transméditerranée

Chers amis,

Je voudrais tout d’abord dissiper un petit malentendu sur le thème même de cette conférence.


Lorsque « Les Amis de la Liberté » m’ont proposé d’aborder le thème des fascismes et « des Résistances aux fascismes », je leur ai donné mon accord car c’est une question que j’ai étudiée -et que j’étudie- depuis longtemps et qui est au cœur de plusieurs conférences que j’ai données.

Ceci étant, le sujet est si vaste dans le temps comme dans l’espace qu’il ne peut faire l’objet d’une seule conférence.

Car le fascisme, est d’abord une histoire italienne qui débute -formellement- avec la création, le 23 mars 1919, à Milan par B. Mussolini des « Faisceaux de Combat » (« Fasci Italiani di Combattimento ») qui deviendront au Congrès de Rome en 1921, le Parti National Fasciste.
Mais le fascisme, au fil du temps, va devenir un phénomène européen et mondial affectant plus ou moins tous les pays depuis presqu’un siècle.

Les théoriciens et politiciens fascistes, dans toutes leurs variantes, on en retrouve évidemment dès l’entre-deux guerres, en Allemagne avec le nazisme -« le National Socialisme » et le IIIème Reich, mais aussi en Autriche, en France, en Belgique, en Hollande, Norvège, Suède, Croatie, Espagne, Portugal, Grande-Bretagne, Bulgarie, Roumanie, Etats-Unis, Japon, etc.
Pendant et après la IIème Guerre mondiale, ils feront des émules dans les pays baltes, en Ukraine et jusqu’en Amérique du Sud et au Proche Orient.

Aujourd’hui, dans un contexte tout à fait différent de celui de l’Après Ière Guerre mondiale et de l’Après IIème Guerre mondiale, un contexte nouveau marqué par la disparition de l’Union Soviétique et la fin de « la politique des blocs » issue de la « Guerre froide », on assiste à une troisième génération de fascismes y compris dans des pays qui ont été particulièrement victimes des crimes fascistes pendant la Seconde Guerre mondiale, par exemple l’Ukraine ou la Grèce.

Certains chercheurs et militants -mais ce n’est pas l’objet de cette conférence- associent également, du fait de leur caractère interclassiste, « identitaristes » violent et excluant, la plupart des partis islamistes.

C’est dire que les fascismes sont multiformes.

Mais les partis et mouvement qui s’en réclament plus ou moins ouvertement ont néanmoins en commun une même fonction économique et sociale.


Finalement, et dans sa concision, je crois que le fascisme au pouvoir, c’est comme l’a dit avec raison dès 1935 le Bulgare Georgui Dimitrov : « la dictature terroriste ouverte des éléments les plus réactionnaires, les plus chauvins, les plus impérialistes du capital financier ».

Georgui Dimitrov qui avait eu à affronter le fascisme dès septembre 1923 en Bulgarie et qui a été le héros du Procès de Leipzig en 1933 -le procès de l’Incendie du Reichstag que les nazis au pouvoir avaient organisé et imputé aux communistes- était Secrétaire de la IIIème Internationale (communiste).
En 1935, lors du VIIème Congrès de l’I.C., alors que partout en Europe le danger fasciste se précisait, c’est lui qui appela à constituer partout des Fronts Populaires pour « le Pain, la Liberté et la Paix ».

Ce qui me paraît essentiel ici, c’est la définition du fascisme non seulement par rapport à son contenu idéologique, mais par sa fonction politique et socio-économique.

Il me semble qu’aujourd’hui, parce que nous sommes envahis par « la politique spectacle », on oublie trop souvent qu’une force politique ou un parti ont d’abord une fonction et qu’ils sont aux services d’intérêts qui dépassent, et de loin, les ambitions et gesticulations de telle ou telle personnalité.

La réflexion sur les fascismes m’a conduit aux résistances, la première que j’ai étudiée étant les Résistances allemandes au nazisme (car les premières victimes des nazis furent d’abord des Allemands dont certains furent d’éminents Résistants en France), puis un autre sujet méconnu, la Résistance dans les camps de concentration (dont on oublie trop souvent la fonction de réservoirs de main d’œuvre esclave pour les grandes firmes allemandes) et enfin la Résistance grecque.

C’est cette Résistance ignorée (chez nous), qui a été massive et héroïque mais aussi d’une rare originalité dans son projet de « laocratie » (λαοκρατία) -pouvoir radical du peuple, que je vais évoquer.

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Ce qui nous intéresse ici, on va le voir, c’est bien évidemment la modernité d’un projet de société nouvelle, noyé dans le sang par l’intervention extérieure, mais aussi le retournement et la trahison que constitue -alors que la IIème Guerre mondiale est loin d’être terminée- la tentative de liquidation de la Résistance grecque par les Anglais qui se sont appuyés pour cela sur les anciens collaborateurs grecs des occupants nazis.

On peut dire que Décembre 1944 à Athènes, c’est le première page de la Guerre Froide en Europe.

Un moment tragique, terrible, inimaginable, mais délibérément programmé, dès 1943, par W. Churchill qui va conduire à la Guerre civile grecque (1946-1949), à l’exode de centaines de milliers de combattants -qui connaîtront d’autres drames notamment en Union Soviétique-, à la négation de la Résistance jusqu’en 1982 et à des clivages dans la société grecque qui perdurent jusqu’à aujourd’hui.


L’historiographie a longtemps considéré comme départ de la « Guerre froide » les années 1946 –avec le discours de W. Churchill le 5 mars 1946 (1) à Fulton (E.U.)- et 1947 avec, d’une part l’affirmation de « la doctrine Truman » de « containment » du communisme, et, d’autre part, le rapport d’A. Jdanov (2) à la première réunion du Kominform (3) (22-27 septembre 1947) à Szklarska Poreba (Pologne) pour qui la situation mondiale se caractérise désormais par l’existence de deux camps principaux (4).

Effectivement, ces deux années voient les ministres communistes exclus des gouvernements français, italien et belge.

Elles sont au plan international celles des ruptures de la « Grande Alliance » - contre « l’Axe » Allemagne-Italie-Japon plus qu’antifascistes- et des fronts issus des Résistances nationales dans la plupart des pays européens.

En réalité, cette « Guerre froide » qui va durer jusqu’à la disparition de l’URSS en 1991 –près d’un demi siècle- commence en Europe par une guerre « chaude » dont le premier acte est ouvert le 3 décembre 1944 par la Bataille d’Athènes.

A ce moment là, la guerre est loin d’être finie.
le IIIème Reich ne capitulera que le 8 mai 1945.

Les Alliés marquent le pas sur la « Ligne Gothique» au nord de l’Italie.
Le 31 décembre 1944, ils n’auront toujours pas dépassé l’axe Pise-Rimini.

L’armée allemande déclenche une puissante contre offensive dans les Ardennes qui fait reculer les Alliés et l’Armée Rouge est encore à plusieurs centaines de kilomètres de Berlin.

Sur le territoire grec même, en Crète, la reddition allemande n’aura lieu que le 9 mai 1945.

Dans ce contexte, en dépit du désaccord du commandant suprême interallié en Méditerranée, le maréchal Alexander, W. Churchill choisit de dégarnir le front d’Italie pour liquider la principale force de la Résistance grecque : l’EAM-ELAS (5) le Front National de Libération, impulsé par les communistes et largement soutenu par la population.

Le premier Ministre anglais estime, en effet, que la Résistance grecque menace la monarchie et, au-delà, les intérêts de l’Empire britannique.

Car depuis le XIX° siècle, l’Empire britannique et la Russie sont rivaux en Méditerranée Orientale.

Or, la Grèce occupe une place stratégique, à proximité du Proche Orient, de l’Egypte et du canal de Suez qui permet l’accès par mer le plus rapide aux Indes, à l’Océan indien et à l’Extrême Orient.

Pour W. Churchill et les gouvernants anglais, comme pour le Travailliste Clement Attlee qui lui succède en juillet 1945, défendre la monarchie, l’imposer aux Grecs, si nécessaire par la violence, c’est garantir le maintien de la domination britannique.

« Dekemvriana » (« Δεκεμβριανά ») : la bataille d’Athènes


Du 4 décembre 1944 au 11 janvier 1945, pendant plus d’un mois, Athènes -qui est l’unique capitale d’Europe avec Tirana à s’être libérée par les seules forces de la Résistance et sans l’intervention des armées alliées - va connaître une longue et terrible bataille.

Elle sera livrée maison après maison, rue après rue, souvent par de jeunes « andartès » (6) mal armés, hommes et femmes, non seulement face aux forces monarcho-fascistes grecques mais surtout face à l’armée des « alliés » britanniques dotée des équipements les plus modernes en matière de blindés et d’aviation et composée de militaires professionnels .

Ce sont, en effet, 60 000 soldats britanniques (75 000 quelques semaines plus tard) secondés par les monarchistes grecs de « la Garde Nationale », de « la Brigade de Montagne» et par les membres des anciennes milices fascistes des « Bataillons de sécurité » qui ont collaboré avec l’occupant nazi qui vont pendant une quarantaine de journées de liquider la Résistance grecque.

Pour parvenir à son objectif, W. Churchill met des moyens énormes.

Il fait envoyer en Grèce 1650 transports aériens.
En un temps record, sont débarqués, 4 374 000 pounds (2000 tonnes) de matériels de guerre, de nombreux chars et véhicules blindés, deux divisions britanniques complètes ainsi que de fortes unités d’infanterie coloniale, notamment une nouvelle brigade de la IV° Division indienne (7).

Au général Ronald Scobie, commandant des troupes alliées en Grèce, le Premier Ministre anglais donne une consigne claire : « agir [à Athènes] comme s’il s’agissait d’une ville conquise où se serait déclenchée une révolte locale » (8).

Malgré les offres de négociations faites dès le 14 décembre alors que l’ELAM-ELAS est en position très favorable, les Britanniques –et le gouvernement grec qui leur est entièrement soumis- rejetteront constamment tout dialogue.

Car monarchistes grecs, Conservateurs comme Travaillistes anglais, veulent briser l’EAM-ELAS qu’ils accusent en mentant délibérément -la recherche historique et l’ouverture des archives le confirment sans ambiguïté aujourd’hui- de vouloir s’emparer du pouvoir et établir un régime prosoviétique.

En fait, ce que l’EAM veut et qu’elle a commencé à mettre en place pendant l’occupation allemande dans les zones libérées, c’est l’embryon d’un Etat nouveau issu de la Résistance, une « laocratie » -λαοκρατία- un pouvoir populaire de type nouveau, autogéré, réellement démocratique.

Cet Etat nouveau, je laisse un Anglais - Christofer Montague Woodhouse , Agent des Services de Renseignements, puis « Diplomate » (il participera plus tard, entre autre, à Téhéran au coup d’Etat anglo-américain d’août 1953 contre le nationaliste Mossadegh)- en donner, en quelques mots, toute la dimension.

Ce témoignage est très intéressant parce que C.M. Woodhouse maîtrise la langue grecque et qu’après avoir été parachuté en Crète en 1941 comme officier du SOE pour organiser en liaison avec la Résistance le sabotage derrière les lignes ennemi, il est parachuté en Grèce continentale en 1942 au côté d’Eddie Myers.
Il est là non seulement pour les actions de sabotage mais aussi en tant que Mission militaire britannique.
Il en deviendra le chef en juillet 1943.

Il s’agit donc du témoignage d’un adversaire politique, un aristocrate, qui sera en 1959 élu député Conservateur, fin connaisseur de la Grèce (sur laquelle il a écrit quelques 9 livres) qui a vécu de l’intérieur et parmi les Grecs l’émergence de la Résistance de l’EAM qu’il a pour mission de démanteler.

Voici ce qu’écrit C.M. Woodhouse : « 
Après s’être assurés le contrôle de presque tout le pays […], les Résistants lui avaient donné un certain nombre de choses qu’il n’avait jamais connues.
Les communications dans les montagnes, sans fil ou par téléphone, n’avaient jamais été aussi bonnes ; l’EAM-ELAS allait jusqu’à réparer les et utiliser les grandes routes…

Pour la première fois, les bienfaits de la civilisation et de la culture pénétrèrent petit à petit dans les montagnes.

Des écoles, des gouvernements locaux, des Cours de Justice et des services publics se remirent à fonctionner.

On vit démarrer des théâtres, des usines, des assemblées élues.

Une vie comme jamais s’organisa, qui remplaça l’individualisme traditionnel du paysan grec…
L’EAM-ELAS jeta les bases […] d’un Etat organisé dans les montagnes grecques
 »

Bien évidemment, cet Etat nouveau issu de la Résistance était antinomique avec le retour au régime d’avant-guerre et à une monarchie avec un roi contesté, d’origine germano-danoise Georges II Glücksburg, étroitement lié à la Grande Bretagne.

La bataille d’Athènes débutera le 3 décembre 1944.
Elle s’achèvera le 11 janvier par un cessez-le-feu.

Elle sera suivie par la conférence de Varkiza (2 -12 février 1945) qui se traduira par un accord entre d’un côté les représentants de l’ELAM-ELAS et, de l’autre, ceux du gouvernement grec et ses partisans, avec en coulisse les Anglais.

Cet accord particulièrement défavorable à la Résistance ne sera pas appliqué notamment en ce qui concerne l’épuration des collaborateurs des occupants nazis.
Par contre, il ouvrira la voie à plusieurs mois de terreur blanche à l’encontre des Résistants et des progressistes.

Entre février et juillet 1945, 20 000 personnes sont arrêtées, plus de 500 assassinées et 2961 condamnées à mort.
En décembre 1945, le Ministre de la Justice déclare : « Les personnes emprisonnées sont au nombre de 17 984…

48 956 personnes sont actuellement poursuivies pour leurs activités au sein de l’EAM-ELAS…
Nous évaluons à plus de 80 000 le nombre des personnes devant être inculpées »
.


Cette terreur blanche, unique en Europe à ce moment là -on est 7 mois seulement après la chute du nazisme- débouchera sur trois années d’une guerre civile (1946 – 1949) dont la monarchie et les partis conservateurs et réactionnaires ne pourront sortir vainqueurs que grâce à l’intervention militaire massive des Anglais, puis des Américains.

Une fois de plus, ce sont des puissances extérieures qui auront imposé dans la violence aux Grecs leur volonté et leurs intérêts.

Les conséquences directes sur la société perdureront de la fin de la guerre civile à la chute de la dictature des Colonels en 1974.

Ce n’est qu’en 1982 que la Résistance sera reconnue officiellement et que les exilés politiques pourront rentrer ouvertement dans leur pays.
Et il faudra attendre 1989 pour que le Parlement grec adopte une résolution déclarant que les partisans de l’Armée Démocratique Grecque - Δημοκρατικός Στρατός Ελλάδας- n’étaient pas des « bandits ».

« En Grèce, malgré les quarante années de répression et de persécutions des protagonistes, le fait résistant continue encore à créer des culpabilités, des passions et des conflits » souligne l’universitaire Constantina Spiliotopoulou (9).

De l’Indépendance en 1830 à aujourd’hui, la Grèce n’aura connu qu’une « souveraineté limitée ».


Une triple occupation

Revenons tout d’abord à 1940.
Comme dans la plupart des pays d’Europe,
la Résistance grecque fut d’abord motivée par l’occupation étrangère.
Mais, c’est une première originalité,
le pays (la partie continentale comme les îles) est démembré en plusieurs zones dépendant de trois autorités différentes : italienne, allemande et bulgare qui y mèneront partout des politiques de pillage et de violente répression, chacun tirant la couverture à lui et poursuivant des objectifs différents.

Le Reich nazi – qui a besoin de divisions pour attaquer l’URSS- ne vise pas à occuper tout le territoire.
Par contre, il s’arroge les régions clefs : Athènes et le port du Pirée, Thessalonique, la Macédoine centrale, une bande le long de la frontière turque, certaines îles de la mer Egée proche de la Turquie (Lemnos, Lesbos, Chios), des Cyclades (Amorgos et Milos) et l’essentiel de la Crète.

Le royaume de Bulgarie qui, vaincu de la I° Guerre mondiale a perdu la Thrace occidentale au Traité de Neuilly de 1919, la récupère ainsi qu’une partie de la Macédoine et les îles de Samothrace et Thasos.
Ces territoires sont considérés par la monarchie bulgare comme « récupérés » et donc soumis à de brutales mesures de « bulgarisation».


Quant à
l’Italie fasciste, elle obtient tout le reste et applique dans certaines zones comme les Bulgarie, une politique d’annexion.
C’est le cas dans les îles du Dodécanèse (Rhodes, Kos, Léros) où l’Italie est installée depuis 1912.
Elle y mène une politique d’italianisation forcée et de colonisation.

Les six îles de la mer ionienne (Corfou, Leucade, Paxos, Céphalonie, Ithaque, Zanthe) forment un « Etat ionien » annexé à l’Italie.

A côté des occupants, l’autorité « grecque » est assurée par un gouvernement de collaborationnistes qui verra se succéder trois premiers ministres fantoches: le général Georgios Tsolakoglou (nommé par les Allemands le 30 avril 1941, il restera en poste jusqu’au 2 décembre 1942), Konstantinos Logothetopoulos (jusqu’au 7 avril 1943) puis Ioannis Rallis (jusqu’au 12 octobre 1944).

D’autre part, au Caire existe un gouvernement grec en exil autour du roi Georges II qui a soutenu le régime fasciste de Ioannis Métaxas, d’août 1936 à sa mort en janvier 1941.
Il est composé essentiellement de métaxistes et d’anciens représentants de partis d’avant-guerre. Surtout, il dépend entièrement des Britanniques qui lui assurent une légitimité au plan international qu’il n’a absolument pas parmi les Grecs qui subissent l’Occupation, résistent et ne se reconnaissent ni dans de roi ni dans la monarchie.

La Grèce saignée

La triple occupation qu’affrontent les Grecs n’a d’équivalent ni en France ni dans aucun pays occupé d’Europe occidentale.

Par l’ampleur des dégâts matériels et des pertes humaines qu’elle entraîne et sa violence, elle s’apparente bien davantage aux politiques de terreur et génocidaires mise en œuvre à l’Est de l’Europe : en Pologne, Biélorussie, Union Soviétique et Yougoslavie.

Pour les trois années et demie d’occupation (10), pour une population de 7,3 millions d’habitants, le nombre de victimes directes et indirectes de la faim s’élève à 500 000 (dont 40 000 morts durant la seule première année d’occupation auxquels s’ajoutent l’effondrement des naissances et les maladies dues à la malnutrition).

Un rapport du Conseil supérieur d’hygiène établi courant 1942 relève que la nourriture distribuée sur la base des cartes de rationnement, a été jusqu’à l’intervention de la Croix Rouge Internationale de 450 calories par jour pour juillet 1941, de 327 pour octobre, de 204 pour février 1942.
Ces chiffres sont éloquents quand on sait que le minimum vital se situe autour de 2500 calories/jour (11).

Des centaines de villages subissent le sort d’Oradour sur Glane.
1770 sont brûlés
.

A la Libération, plus d’un million de personnes sont sans abri et la production céréalière a chuté de 40% (12 J. Fontaine « Le Monde diplomatique » juillet 2012).

En se retirant l’armée allemande pratique la politique de la terre brûlée.
Les rapports de ses états-majors recensent la destruction de 52 ponts routiers, 68 de chemin de fer, 42 gares, 55 km de voies ferrées avec 6 tunnels, des installations portuaires et du canal de Corinthe.

Entre octobre 1941 et février 1944, les prix à Athènes sont multipliés par 10 000 (13).

Le pillage des ressources alimentaires et minières, du coton et du tabac par les occupants, en particulier par les détachements économiques de la Wehrmacht, est total.

Il s’accompagne d’une réorientation de l’économie grecque vers les besoins de l’armée d’occupation et du Reich.

Toutes les grandes firmes : Krupp, IG Farben, Reemtsma, AEG, Siemens, etc., y participent, en particulier à partir de l’automne 1942 lorsque les associations patronales allemandes créent la Société germano-grecque de clearing des marchandises (Deutsch-Griechische
Warenausgleichgesellschaft, DEGRIGES) qui se voit attribuer le monopole du commerce extérieur de la Grèce.

Environ 60 000 juifs périssent durant l'occupation, soit 81 % de la communauté israélite grecque -dont 91 % de ceux de Thessalonique et 90 % dans les zones bulgares où les Allemands ont systématiquement pourchassé les juifs-, malgré l’aide de l’Eglise orthodoxe, de la police d’Athènes et la protection des résistants de l’EAM-ELAS qui cachent le grand rabbin Elias Barzilaï.

En termes de pertes humaines dues à la II° guerre mondiale, les pertes de la Grèce représentent 7% de la population du pays (10% en URSS, 8% en Allemagne, 1,5% en France) (14).

« La guerre, la répression des occupants, la famine avaient amputé le peuple grec de près d’un million d’hommes et de femmes. Le jour où je lui rappelais ce fait, Aragon avait fait un rapide calcul mental : à proportion, la France aurait dû perdre sept millions des siens » écrit André Kédros intellectuel grec arrivé à Paris en décembre 1945 (15).

Une résistance immédiate

La deuxième originalité de la Résistance grecque est d’avoir été initiée, portée et développée par le Parti Communiste de Grèce (KKE - Κομμουνιστικό Κομμα Ελλάδας) dès le début de la guerre contre l’Italie, le 28 octobre 1940.

Lorsque Mussolini, à l’insu d’Hitler (16), décide d’attaquer la Grèce, son ultimatum se heurte au refus du pourtant pro fasciste Métaxas qui reçoit immédiatement le soutien du Secrétaire Général du Parti Communiste, emprisonné
, Nikos Zachariadis.

Le 31 octobre, de sa prison, il écrit une lettre ouverte « au Peuple de Grèce » qui est sans ambiguïté : … « 
Le peuple de Grèce mène une guerre de libération nationale contre la fascisme de Mussolini. A côté du front principal, chaque rocher, chaque colline, chaque ville, maison par maison doit devenir une forteresse de la guerre de libération nationale.
Chaque agent du fascisme doit être exterminé sans pitié…
 ».

Pour les Grecs, la guerre contre l’agression de l’Italie fasciste prend un caractère à la fois patriotique, antifasciste et populaire.

Non seulement, en dépit des hésitations du gouvernement de Métaxas et des insuffisances, organisées ou non, de l’Etat Major, les soldats grecs font face à l’agression, mais, appuyés par la mobilisation générale de toute la population, ils lancent une contre-offensive qui, fin 1940, les emmène à soixante kilomètres à l’intérieur de l’Albanie.

Durant six mois, seize divisions grecques insuffisamment armées immobilisent en Albanie vingt-six divisions italiennes disposant d’un équipement bien supérieur au leur.

A la stupeur générale, alors que de grands pays –dont la France- sont vaincus et occupés en quelques semaines, un petit peuple met en échec le mythe de l’invincibilité des forces de l’Axe en tenant tête en Europe continentale aux troupes de l’Italie fasciste.

En grande difficulté, Mussolini doit alors faire appel à Hitler.

Le 6 avril 1941, la Wehrmacht attaque la Grèce.

Le 27 avril, les Allemands entrent dans Athènes et toute la partie continentale du pays est occupée.

Les Britanniques parviennent à évacuer les 50 000 soldats du Commonwealth que Churchill avait envoyé du Proche-Orient en 1941.

Le 1° juin, la Crète tombe la dernière, après onze jours d’une bataille qui est livrée aux parachutistes et troupes d’élites allemandes par les soldats grecs et anglais mais aussi par la population civile qui va le payer très cher après l’armistice.

Dès les 2 et 3 juin, les représailles frappent des villages qui sont détruits (Kandanos) et des dizaines de Crétois sont fusillés sans jugement (Kondomari) pour avoir combattu les envahisseurs.

Ce sont les « Opérations de vengeance » que le général Kurt Student (XI°Corps Aéroporté) explique sans ambiguïté à ses troupes:
« 
1°/ Exécutions sommaires, 2°/ Réquisitions, 3°/ Incendies de villages, 4°/ Extermination (Ausrottung) de la population mâle de régions entières » (17).

Le genéral K. Student ne sera jamais jugé pour ses crimes de guerre ni remis à la Grèce pour y être jugé.

En Crète, le rembarquement des troupes britanniques, australiennes et néo-zélandaises s’avère infiniment plus difficile.
Plusieurs milliers de soldats ne peuvent s’échapper de l’île.

Ils sont cachés et aidés par les Crétois.
Ils rejoindront souvent une Résistance qui, du fait de la forte tradition influence du républicanisme de Vénizélos (18), ne se divisera pas sur la question d’une monarchie qui dispose, là encore moins qu’ailleurs, d’un soutien populaire.

Notons que les semaines de combats en Grèce et l’occupation vont retarder d’autant « l’Opération Barbarossa » -l’attaque nazie contre l’union Soviétique, le 20 juin 1941, et que les troupes d’élite aéroportées décimées pendant la Bataille de Crète manqueront ensuite cruellement à Hitler.

De la résistance spontanée à la Résistance organisée.
Comment est née la Résistance grecque 


La Résistance se manifeste d’abord de façon spontanée, mais elle va très rapidement se structurer.
Dès l’arrivée des Allemands à Athènes, la population témoigne ostensiblement de sa sympathie aux soldats anglais prisonniers ou en cavale.

Seulement un mois après que les occupants aient hissé le drapeau nazi sur l’Acropole, deux jeunes Résistants : Manolis Glezos et Apostolos Santas l’arrachent au péril de leur vie dans la nuit du 30 mai 1941.

Le Parti Communiste de Grèce (KKE) qui représentait une force en 1935 -130 000 membres, 15 députés et un quotidien « Rizospastis » Ριζοσπάστης, (« le Radical »)- a subi une répression féroce depuis l’établissement du Régime du 4 Août et la dictature fasciste de Métaxas : 90 000 de ses militants et sympathisants ont été arrêtés, souvent torturés, emprisonnés ou déportés dans des îles.

Lorsque les Allemands arrivent, 2000 cadres et militants sont toujours emprisonnés par le régime fasciste grec.

Il a refusé de les libérer pour combattre l’invasion comme ils le demandaient et les livre aux nazis (le Secrétaire général Nikos Zachariadis est expédié à Vienne, puis déporté au camp de concentration de Dachau).

D’autres, cependant parviennent à s’évader parfois dans des conditions rocambolesques des prisons ou des îles où ils sont déportés.
Ils animent immédiatement des groupes de résistants et tomberont souvent les armes à la main dans les combats contre les occupants.

Parmi ces évadés : une grande figure :
Georges Siantos (19) qui, en janvier 1942, sera élu Secrétaire général intérimaire du PC alors que Nikos Zachariadis est en déportation.

Georges Siantos sera, dans des contextes particulièrement difficiles, le signataire contraint de
trois accords politiques qui s’avèreront désastreux pour l’EAM-ELAS et la Résistance grecque : la Conférence du Liban (mai 1944), les Accords de Caserte (septembre 1944) puis de Varkiza (février 1945).

Tous ces militants et cadres évadés vont reprendre contact avec ce qui subsiste de l’organisation clandestine du PC particulièrement à Athènes, au Pirée, en Macédoine et Thrace, à Thessalonique, en Epire, en Crète.

A Athènes, ils constituent -dès le mois de mai 1941- un « Groupement d’orientation » qui s’érige en nouveau Comité Central.

Sa VI° assemblée plénière définit les objectifs communistes avec une grande clarté:

- 1°/ les occupants germano-allemands doivent être chassés de Grèce,

-2°/ le gouvernement des Quislings [du nom du collaborateur pro nazi qui dirige la Norvège occupée]
doit être renversé,

-3°/ L’Union Soviétique [qui a été attaquée par les nazis le 21 juin] doit être aidée et défendue
journellement,

- 4°/ Toute force antifasciste de quelque importance doit être soutenue par tous les moyens,
- 5°/ Un Gouvernement provisoire doit être formé par tous les partis.
Le Gouvernement aura la tâche de rétablir les libertés démocratiques du peuple, de veiller à ce que celui-ci ait du travail
et du pain, de convoquer une Assemblée Nationale Constituante et de défendre l’intégrité et
l’indépendance de la Grèce contre toute puissance impérialiste.

La même session de la direction communiste fait un devoir à tout communiste « de s’orienter à temps et d’une façon juste face aux évènements qui changent et changeront à un rythme de plus en plus rapide et d’organiser la révolte du peuple pour une libération nationale et sociale de la Grèce » (20).

Ces objectifs, avec notamment la perspective d’un Gouvernement Provisoire et d’une Assemblée Constituante doublés d’une approche qui conjugue libération nationale et de la libération sociale ne vont évidemment ni dans le sens des intérêts de la Monarchie ni dans ceux des Britanniques.

De « La Solidarité Nationale » au Front National de Libération (EAM)


La première organisation de masse de la Résistance
« la Solidarité Nationale », Εθνική Αλληλεγγύη, se constitue à l’initiative du PCG le 28 mai 1941 autour du soutien aux victimes de la répression des occupants et de l’aide alimentaire.

Dans le même temps la population expérimente
des formes d’auto organisation collective : des comités populaires, les organisations professionnelles et des religieux organisent les soupes populaires qui sauvent des milliers de vies durant la famine de l’hiver 1941-1942.

Le premier Front que les communistes créent le
16 juillet 1941 est le Front National de Libération des Travailleurs, l’E.E.A.M. regroupant les militants des trois unions syndicales.
Sa direction sera basée sur une représentation de chaque courant qui garantira un fonctionnement harmonieux jusqu’à la Libération.

L’action de l’EEAM en milieu ouvrier fera de la
Grèce un des pays occupés où les grèves et les manifestations seront les mieux organisées et les plus nombreuses.
Elle jouera un rôle décisif dans l’influence de la Résistance dans les villes.

Le 27 septembre, est fondé le Front National de Libération : l’E.A.M., Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο dont le Comité central politiquement pluraliste (en est, membre, par exemple, Ilias Tsirimokos (21).
Il a pour Secrétaire général un communiste d’origine macédonienne qui restera en place jusqu’en 1944: Thanassis Hadzis.

A la veille de la Libération, L’EAM sera
devenue la plus importante organisation de Résistance non seulement en Grèce mais aussi de toute l’Europe occupée : 1,8 million de membres pour un pays de 7,2 millions d’habitants.

Les statuts de l’EAM instituent l’égalité entre les partis qui la composent, définissent les moyens de lutte et les règles de clandestinité.

Mais, aussi, ils fixent comme objectif patriotique : « 
une indépendance totale » du pays. Ce qui vise les occupants, mais aussi, au-delà implicitement, le Roi et son gouvernement en exil qui sont soutenus par la Grande Bretagne.

L e 10 octobre 1941, l’E.A.M. rend public un Manifeste qui est un appel à toutes les catégories du peuple : ouvriers, bourgeoisie (à qui est demandée un soutien économique), artisans, soldats, policiers, fonctionnaires, prêtres, femmes, jeunes.

Il se déploie rapidement en plusieurs branches : EAM des ouvriers, EAM des fonctionnaires, EAM des femmes, EAM des étudiants, EAM des lycéens, qui multiplient les cellules dans les villages et villes.

Parallèlement, les Anglais qui ont laissé après leur départ du pays des groupes d’agents aussi bien grecs que britanniques du Special Operations Executive (S.O.E), structurent des réseaux d’information et de sabotage.

En liaison avec le Quartier Général du Moyen Orient, ils organisent l’évacuation des soldats britanniques encore sur le territoire et le sabotage de structures militaires et civiles utilisées par les puissances de l’Axe (22).

Mais
l’action des réseaux britanniques ne se limite pas à porter des coups à l’armée allemande et à ses alliés, elle intervient aussi lourdement, aux plans financier, militaire et politique, dans les affaires intérieures de la Résistance grecque et de la Grèce en soutenant voire en suscitant des groupes de résistance concurrents de l’EAM.

Fin septembre 1941, un groupe de militaires et de civils de sensibilité républicaine, le général Nicolas Plastiras en exil à Nice rejoint par Komninos Pyromaglou qui lui est à Marseille, fondent avec Napoléon Zervas, officier resté en Grèce et diverses personnalités,
l’E.D.E.S., la Ligue Nationale Démocratique Grecque: Εθνικός Δημοκρατικός Ελληνικός Σύνδεσμος.

Les buts de l’organisation qui sont définis dans les statuts passent curieusement sous silence l’Occupation ainsi que les modalités de l’action.

Sa participation à la lutte armée contre les occupants restera marginale.

En fait, l’EDES qui s’affiche « démocrate et socialiste » n’organisera des maquis -dans la seule région de l’Epire- qu’à partir de juillet 1942, après le versement de 24 000 £ or par les Anglais (23 De la Résistance... JF) dont elle restera étroitement dépendante.

La création de l’Armée Populaire de Libération Nationale (E.L.A.S.)

En novembre 1941, le PC de G (KKE) envoie des émissaires dans les zones montagneuses pour évaluer la possibilité d’implanter des maquis.

La réponse s’avérant positive, le PCG propose à ses partenaires au sein de l’EAM d’organiser des groupes armés de maquisards : les « andartès » (αντάρτης).

Le 10 février 1942 est fondée l’Armée Populaire de Libération Nationale (E.L.A.S. Ελληνικός Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός), dont l’acronyme résonne particulièrement pour les grecs : en grec, la Grèce se dit « Hellas ».

L’ELAS va peu à peu rassembler sous son autorité et sa discipline les bandes de mi brigands mi rebelles (klephtes,
κλέφτες), « voleurs », qui ont gagné les montagnes en reprenant la dénomination qu’on leur donnait dans l’Empire Ottoman.

Peu à peu, l’encadrement par l’ELAS de ces bandits d’honneur va leur donner une conscience politique et faire d’eux des Résistants.

En mai 1942, des premiers groupes d’andartès apparaissent autour de Mégara.
Mais c’est surtout dans la région de la Roumélie et dans les montagnes du Pinde que l’ELAS prend son essor et qu’émerge un chef exceptionnel:
Aris Véloukhiotis (24).

Doté d’un charisme et d’une autorité reconnue, imposant une discipline sans faille à ses hommes, impitoyable avec un adversaire qui pratique une terreur totale contre les civils, Aris Veloukhiotis est rapidement le « kapétanios » (25) par excellence, un personnage de légende, la bête noire des occupants, mais aussi des Anglais (26).

En mai, les « andartès » sont déjà au nombre de 500 (en 1944, ils seront 50 000, 150 000 avec les réservistes).

Partout, ils harcèlent en Grèce centrale les troupes italiennes et allemandes.

Dans la nuit du 25 au 26 novembre, 1942, les partisans grecs (de 90 de l’ELAS et 60 de l’EDES) engagent le combat qui permet à un groupe de 12 militaires anglais du SOE le plus grand sabotage d’une infrastructure en Europe occupée : la destruction du viaduc de Gorgopotamos, proche de Lamia, qui permet la liaison ferroviaire entre Athènes et Thessalonique.
C’est par là que sont acheminés les renforts pour les forces de Rommel -l’Afrika Korps-en Afrique du Nord.

Quelques jours plus tard, la BBC rend compte de ce succès retentissant en l’attribuant à l’EDES et en ignorant l’ELAS et Aris Véloukhiotis dont l’engagement a été essentiel pour le succès de l’opération.

Constamment, l’aide anglaise, particulièrement en armes et en argent, ira à des organisations dont l’engagement contre les occupants est des plus réduits, voire très ambigu, l’essentiel étant qu’elles soient concurrentes de l’ELAS.

L’action constante de l’ELAS dans les montagnes et zones rurales se conjugue avec la Résistance urbaine qui multiplie manifestations de masse et grèves.

Le 22 décembre 1942, à l’appel de l’EAM, 40 000 ouvriers d’Athènes et du Pirée déclenchent une grève et une grande manifestation à laquelle se joignent employés, lycéens et étudiants.

Le 24 février 1943, en réponse à « l’ordre de mobilisation civile » instaurant pour la Grèce le travail forcé, éventuellement en Allemagne, pour tout travailleur âgé de 16 à 45 ans, les forces d’occupation se trouvent à Athènes face à une marée de manifestants qui, appuyés par des groupes de Résistants armés, s’attaquent au prix de nombreux morts et blessés au Ministère du Travail qu’ils incendient.

Le 27 février, l’enterrement du grand poète Kostis Palamas se transforme en nouvelle démonstration patriotique qui réunit 100 000 manifestants.

Le 5 mars, nouvelle grève à Athènes avec manifestation avec banderoles contre « la mobilisation civile».
Malgré les mesures exceptionnelles prises par les Italiens et les Allemands qui mitraillent la manifestation, les Athéniens pénètrent à nouveau dans le Ministère du travail qui sera entièrement brûlé.

Le « Journal de l’Oberkommando Süd-Griechenland » de la Wehrmacht note : « 5 mars 1943. A Athènes ont eu lieu durant la mâtinée diverses manifestations.
Les cortèges ont été dispersés par la Feldgendarmerie et les Italiens.
Les démonstrations sont d’origine communistes et dirigées contre la mobilisation civile
 ».

Les manifestations continuent jusqu’au 10 mars, date à laquelle le gouvernement collaborationniste et les Allemands devront renoncer à l’envoi de travailleurs grecs dans le Reich.

Lorsqu’Hitler aux abois redemandera 150 000 travailleurs en août 1944, il se heurtera à nouveau à une grève générale et à des affrontements sanglants particulièrement dans les « quartiers rouges » d’Athènes.
La Grèce sera le seul pays occupé à avoir mis totalement en échec le plan de travail forcé des nazis à l’encontre de ses travailleurs.

Le 25 juin, à Athènes, une grève politique répond à l’exécution de 106 otages en représailles contre l’attentat dans le tunnel de Kournovo qui a anéanti un train de soldats italiens.

Le 22 juillet, nouvelle manifestation, cette fois contre l’annexion de la Macédoine grecque par la Bulgarie.

Dans «La Grèce libre », la laocratie, (λαοκρατία)
embryon d’un Etat nouveau.


Le développement de l’ELAS -en juillet 1943, elle compte déjà 16 000 combattants, hommes et femmes- se traduit par une multiplication des actions de guérilla qui inquiète les occupants et les contraint peu à peu à ne plus contrôler que les villes et les grands axes, avec l’aide d’une administration plus ou moins collaborationniste.

Ailleurs, dans ce qui va s’appeler « la Grèce libre », la réalité du pouvoir appartient à l’EAM-ELAS qui va mettre en place un embryon d’Etat nouveau avec des modes de participation démocratique directe.
C’est la laocratie –λαοκρατία- le pouvoir du peuple basé sur un régime d’autogestion locale.

Il s’agit donc de bien autre chose que du contrôle militaire d’une partie du territoire par des rebelles.
L’EAM-ELAS est porteur d’un projet politique audacieux de modernisation démocratique.

Il est original, très en avance sur son temps, profondément ancré dans la réalité grecque et il répond aux attentes de la population.

A la base : l’Assemblée Générale du Peuple à laquelle participent hommes et femmes de plus de 17 ans qui élit à bulletin secret des comités révocables : le comité d’auto administration populaire, le tribunal populaire et les commissions de la sûreté, du ravitaillement, de l’école et de l’église.

Dans les villages, le conseil municipal doit se réunir au moins une fois par mois, l’Assemblée générale tous les trois mois.

Cette dimension démocratique est permanente.

Malgré les difficultés dues à la guerre, une place conséquente est accordée à la santé, à l’éducation et à la culture (27)

En mars 1944, l’EAM fonde le Comité Provisoire de Libération Nationale (P.E.E.A.) appelé parfois « Gouvernement des montagnes » qui réussit même le tour de force d’organiser, à la barbe des occupants, dans tout le pays des élections auxquelles participeront 1 800 000 personnes (dont les femmes pour la première fois) pour élire un Conseil National de 180 députés.

Le gouvernement grec en exil au Caire et les Anglais verront dans ce vote un défi et un danger, d’autant que les forces armées grecques d’Egypte et la Marine appuyées par la colonie grecque réclament immédiatement que la Résistance soit intégrée dans le gouvernement du Caire.

Churchill fera alors réprimer impitoyablement cette révolte : 18 500 soldats mutinés (à peu près, la moitié des troupes grecques du Moyen Orient) seront expédiés dans des camps dans les déserts du Soudan, d’Erythrée et de Libye.


Le tournant de l’été 1943

C’est entre juillet et septembre 1943 que s’opère la fracture entre les Résistants de l’EAM-ELAS et le gouvernement monarchiste en exil et des Britanniques plus que jamais décidés à s’ingérer dans les affaires grecques.

Début août, les délégués des trois mouvements de la Résistance (EAM, EDES, EKKA : Libération Nationale et Sociale) sont convoqués au Caire.

Ils adoptent à l’unanimité, avec le conseil des ministres, le 19 août, un message au roi Georges II qui soumet son retour en Grèce à un référendum.

Le roi est au ban de la nation, mais il a avec lui Churchill qui parvient à entrainer Roosevelt dans le refus de ce processus.

Les délégués de la Résistance retournent donc en Grèce sans cet accord et désavoués par un allié britannique qui met en place dès septembre le « Plan Manna », un plan qui vise à l’occupation militaire d’Athènes dès le départ des Allemands pour empêcher que les Résistants n’occupent les lieux de pouvoir.

Cette politique des Anglo-Américains de défiance à l’égard des Résistances et d’instauration d’autorités militaires a été, partout où ils l’ont pu, mise en œuvre au fur et à mesure que l’Europe était libérée.

Si elle a pu être évitée en France par l’action immédiate de la Résistance et du Gouvernement Provisoire de la République Française et grâce à l’action conjuguée du général de Gaulle et du PCF, une grande partie de l’Italie a, elle, été administrée par l’AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories).

En même temps, la chute de Mussolini et l’armistice du 8 septembre ouvrent la voie à la dislocation des forces d’occupation italienne de la XI° armée, qui en Grèce comme en Corse, hésitent entre plusieurs comportements.

De leur côté, les Allemands appliquent le Plan « Axe » prévu de longue date.

Ils désarment les soldats italiens, récupèrent les équipements et exécutent par milliers les soldats et officiers qui, comme ceux de la Division « Acqui » à Céphalonie et à Corfou, leur ont résisté.

Nombre de soldats italiens qui ont désertés sont alors aidés par les Grecs.

Certains rejoignent l’ELAS, individuellement ou collectivement.

Mais surtout, la plupart des Italiens se débarrassent de leurs armes et les dépôts passent souvent entre les mains des andartès au grand dam des Anglais.

L’effondrement italien renforce grandement l’armement de l’ELAS.

C’est aussi au cours de cet été 1943 que les Allemands mettent sur pied des milices auxiliaires pour leurs combats contre l’ELAS : les « Bataillons de sécurité ».

Jusqu’à la Libération, les opérations sanglantes des Allemands et de ces milices parfois aidés par des groupes «nationalistes » d’extrême droite se multiplient dans les montagnes mais aussi avec les « 
bloko » qui consiste à encercler de nuit un quartier populaire d’Athènes, à faire sortir les habitants et désigner par un mouchard encagoulé les Résistants qui sont fusillés sur place.

Ces Bataillons de sécurité et milices qui pratiquent la terreur aux côtés des nazis demeureront impunies du fait de la protection des Anglais qui dès décembre 1944 s’en serviront à nouveau comme auxiliaires dans la lutte contre l’ELAS, créant ainsi les conditions de la guerre civile qui ravagera le pays de 1946 à 1949.

Les causes de la défaite de l’EAM-ELAS

On a longtemps voulu expliquer la défaite de la Résistance grecque de l’EAM-ELAS par les accords de Yalta (4 au 11 février 1945) et la rencontre de Moscou entre W. Churchill et J. Staline, le 10 octobre 1944 qui se seraient partagé l’Europe en zones d’influences, la Grèce « revenant » à la Grande Bretagne, la Roumanie et la Bulgarie à l’URSS.

La réalité est plus nuancée.

Marqué de la Révolution d’Octobre 1917 à l’Opération Barbarossa en 1941 par 24 ans d’interventions militaires de pays étrangers contre l’Union Soviétique, pas encore sorti d’une guerre qui a entrainé la mort de 20 millions de soviétiques, Staline a d’abord le souci de garantir la sécurité du pays qu’il dirige.

Ce qui passe par des régimes de « démocratie nouvelle » à participation communiste à ses frontières, par le désarmement et la neutralité d’une Allemagne qui devrait restée unie, et par le règlement de la question polonaise avec une récupération des territoires pris à l’Union Soviétique en 1921 et un déplacement du pays vers l’ouest par l’expulsion des minorités allemandes de Silésie, de Poméranie et de Dantzig.

Dans cette conception de la sécurité soviétique, la Grèce n’a aucune place stratégique.

Le Parti Communiste Grec compte des militants expérimentés et courageux, endurcis par les persécutions et la clandestinité, mais qui n’ont pas de d’expérience internationale.
Le PCG n’a pas de représentant à la direction de l’Internationale Communiste, le Komintern.

Pendant la guerre, ses rapports avec Moscou seront tardifs et longtemps indirects.

L’évaluation des rapports de force internationaux politique et militaires échappera aux directions successives du PCG, comme à celle de l’EAM-ELAS.

Le résultat en sera des hésitations entre plusieurs lignes politiques que l’on retrouve aussi bien avec au plan politique qu’au plan militaire, avec Georges Siantos comme avec Nikos Zachariadis : celle d’une participation à tout prix à un gouvernement provisoire majoritairement monarchiste et opposé aux conceptions et objectifs de la Résistance, ou le choix d’une prise du pouvoir par les forces majoritaires de la Résistance qui sera fait à contre temps.

Malgré sa richesse et son originalité, l’expérience d’Etat nouveau, de laocratie, dans « la Grèce libre » a longtemps été occultée par le discours manichéen de la Guerre froide.
Elle mérite d’être connue.

L’élan brisé de la Résistance grecque et le vol du devenir du pays, le déni de sa souveraineté par les puissances étrangères, en premier lieu par la Grande Bretagne, puis par les Etats Unis, ont laissé des traces profondes dans les mémoires.

Il en est de même du refus de remboursement de l’emprunt forcé de 476 millions de reichsmarks que les nazis ont imposé en 1941 à la Grèce et qui a été « oublié » sur injonction des Etats-Unis dans les réparations de guerre dues par l’Allemagne.

Cette somme, jamais remboursée –contrairement aux emprunts italiens et bulgares- représente aujourd’hui, avec les intérêts autour de 81 milliards d’€.


La période qui s’ouvre avec l’Occupation de la Grèce, la Résistance et la Guerre civile continue donc de peser lourdement sur un pays qui fut le laboratoire sanglant de la Guerre froide sur le continent européen.


En guise de non conclusion, je voudrais ouvrir
quelques pistes de réflexion :

1/ Au regard de cette page de l’histoire de la Résistance en Grèce, on constate que le début de la « Guerre froide » ne se situe pas en 1946, lors du discours de Churchill à Fulton aux E.U.

L’origine de la Guerre froide n’est donc pas la résultante de la transformation des pays de l’Est de l’Europe en « Démocraties populaires » à partir de 1945, mais elle débute à Athènes en décembre 1944 selon un plan établi par Churchill dès 1943.

Ce plan visait à maintenir, par la force et la guerre si nécessaire, la monarchie grecque et les intérêts coloniaux de l’Empire britannique contre la volonté du peuple qui avait jeté les bases de nouvelles relations sociales et politiques dans les zones libérées de « la Grèce libre ».

2/
Il y a ingérence directe -financière, technique et militaire- des Services britanniques dès que se constitue la Résistance.
Cette ingérence vise à la création de mouvements concurrents, voire adversaires, de l’EAM-ELAS qui rassemble l’immense majorité des forces résistantes.


Il y a donc en Grèce, mais pas seulement (c’est aussi le cas dans la Yougoslavie voisine), en même temps que le combat de libération contre les occupants une autre lutte -politique et souvent militaire- avec des affrontements et même des embryons de guerres civiles à l’intérieur des Résistances nationales.

A partir de là, la notion de « Guerre froide » est-elle pertinente ?

Ne s’agit-il pas d’une nouvelle étape d’un affrontement global qui commence avec l’intervention étrangère contre la Révolution russe et qui n’a jamais cessé depuis ?


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  1. « De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer s’est abattu sur le continent. Derrière cette ligne se trouvent toutes les capitales des anciens Etats d’Europe Centrale et Orientale. Varsovie, Berlin, Prague, Vienne, Budapest, Belgrade, Bucarest et Sofia ; toutes ces villes célèbres et leurs populations sont désormais dans ce que j’appellerai la sphère d’influence soviétique et sont toutes soumises sous une forme ou une autre, non seulement à l’influence soviétique mais aussi au contrôle très étendu et dans certains cas croissant de Moscou ».

  2. Andreï Aleksandrovitch Jdanov (1896-1948)
    Secrétaire du Parti Communiste (b) de Russie à Léningrad à partir de 1934
    Président du Soviet Suprême de 1938 à 1947,
    Membre du Bureau Politique du PC(b) de Russie
    Organisateur du Kominform

  3. Kominform : Bureau d’Information des Partis Communistes et Ouvriers (1947-1950)

  4. « Le camp impérialiste et antidémocratique d’une part [dont les Etats-Unis, unis à l’Angleterre et à la France sont la principale force dirigeante] et, d’autre part, les forces antiimpérialistes et antifascistes : l’URSS et les pays de nouvelle démocratie »
    « Rapport sur la situation internationale » -
    Cahiers du Communisme. N°11 – 1947

  5. EAM : Front de Libération Nationale : Εθνικό Απελευθερωτικό Μέτωπο / Ethnikó Apeleftherotikó Métopo
    ELAS : Armée populaire de libération nationale : Εθνικός Λαϊκός Απελευθερωτικός Στρατός/ Ethnikós Laikós Apeleftherotikós Stratós

  6. Andartès : Partisan

  7. « La Résistance grecque (1940-1944) » André Kédros- Ed. Robert Laffont.

  8. Télégramme de W. Churchill au général Scobie publié suite à «une fuite» par la presse des Etats-Unis le 7/12/44)

  9. « Oublis et violence. Hommes et femmes de la Résistance grecque » Constantina Spiliotopoulou in « Etudes Corses » n°57, Janvier 2004

« Dans la Grèce d’Hitler  (1941-1944) » Mark Mazover-Ed. Les Belles Lettres, rééd. Perrin Tempus

  1. « La Résistance grecque (1940-1944) cf7

  2. Joëlle Fontaine « Le Monde Diplomatique » juillet 2012)

  3. « La Grèce depuis 1940 » Joelle Dalègre- Ed. l’Harmattan

  4. « Naissance de la Guerre froide  1944-1949 » Yves Durand- Ed. Messidor/Temps actuels

  5. «  L’Homme à l’œillet » André Kédros- Ed. Robert Laffont

  6. « Conversations Hitler- Mussolini 1934-1944 » Pierre Milza-Ed.Fayard

  7. « Dans la Grèce d’Hitler  (1941-1944)» cf. 10

  8. Eléphterios Vénizélos (1864-1936)
    Crétois, personnalité libérale et républicaine de premier plan de l’histoire de la Grèce, il joua un rôle essentiel dans l’unification et la modernisation de la Grèce.

  9. Giorgos Siantos (1890-1947), « le Vieux » ou « l’Oncle »,
    Ouvrier du tabac, syndicaliste très jeune, membre du Comité Central du Parti Communiste de Grèce dès 1925. Dirigeant de la CGTU en 1934. Député. Arrêté, déporté dans les îles, évadé à plusieurs reprises sous la dictature de Métaxas. S’évade une dernière fois en 1941 et devient Secrétaire Général du PCG clandestin de 1942 à 1945. Prend le maquis en 1943. Commissaire politique de l’ELAS. Représentant du PCG à la Conférence de Varkiza.

  10. « La Résistance grecque (1940-1944) » cf.7

  11. Ilias Tsirimokos
    (1907 –1968)
    Fondateur et Secrétaire Général de l’ Union de la Démocratie Populaire. Rejoint l’EAM en 1941, membre de son Comité Central. Après guerre, à plusieurs reprises député du Parti Socialiste, de la Gauche Démocratique, puis de l’Union Centriste.

  12. « La Résistance grecque (1940-1944) »cf.7 

  13. « De la résistance à la guerre civile en Grèce 1941-1946 » Joëlle Fontaine-Ed. La Fabrique

  14. Aris Véloukhiotis (1906-1945)
    De son vrai nom Thanassis Klaras. Originaire de la région de Lamia. Militant de la jeunesse communiste, puis du PCG. Arrêté et évadé à plusieurs reprises. Kapétanios de l’ELAS en Roumélie en 1942, puis Commandant en chef des partisans. Il rejette les accords de Varkiza et reprend le maquis en février 1945. Exclu du PCG pour
    « aventurisme », il est dénoncé comme « traitre ». Traqué par les troupes monarchistes en Thessalie, il se suicide le 16 juin 1945.Sa tête tranchée par des activistes d’extrême droite sera exposée pendant des jours sur la place de Trikkala. Dès le 19 juin, le « Rizospastis » lui rend hommage. En juillet 2011, la conférence nationale du PCG a réhabilité politiquement Aris Véloukhiotis.

  15. Kapétanios : « Capitaine ». Dans l’histoire grecque, chef traditionnel du combat contre les Ottomans, le terme est repris pour nommer les responsables de groupes de partisans pendant la II° Guerre mondiale. En 1944, l’ELAS compte 1070 kapétanios (C. Chiclet « les communistes grecs dans la guerre »)

  16. L’un des principaux responsables de la Mission Militaire Britannique en Grèce, Chris Woodhouse, le qualifie de « génie combattant de l’ELAS ».

  17. « De la résistance à la guerre civile en Grèce 1941-1946 » Joëlle Fontaine

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« Les communistes grecs et l’Union Soviétique » Nikos Papadatos - l’Harmattan (2016)