1793, MONACO EN REVOLUTION.
Le 21 janvier 1793, Louis XVI est guillotiné tandis que le Comté de Nice est occupé par l’armée française. Le prince Honoré III de Monaco sauve sa tête mais perd son trône. La cité deviendra, jusqu’en 1814, Fort Hercule, sous-préfecture d’un nouveau département de la République française, créé le 14 février 1793 et dénommé « Alpes Maritimes ».
Le 29 septembre 1792, l’armée du Midi commandée par le général Jacques d’Anselme envahit le Comté de Nice afin, entre autres, de s’emparer de la rade stratégique de Villefranche-sur-mer et contrôler la frontière avec le royaume de Piémont Sardaigne qui protège de nombreux aristocrates émigrés. Se pose aussitôt, à la Convention nationale, l’épineuse question du sort à réserver à la Principauté de Monaco, victime de la Géographie, et à son monarque régnant, le prince Honoré III pris dans un nouveau et grand tourbillon de l’Histoire : l’abolition de la monarchie et la mise en accusation de son alter ego, le roi Louis XVI.
A l’époque, la Principauté est constituée de trois cités, Monaco, Roquebrune et Menton, peuplées en tout d’environ 8000 personnes. Sous protectorat depuis le traité de Péronne (1641) elle n’est en rien l’ ennemi de la France. En 1756, le Prince a même signé un décret stipulant que le trône de Monaco devait revenir au roi français en cas d’absence d’un héritier nommé Grimaldi. Son atout principal est son port naturel, le bassin Hercule au pied du Rocher, qui fait de Monaco une place stratégique en Méditerranée pour contrer le commerce maritime anglais.
Lorsque la Révolution éclate à Paris, Honoré III se tient, physiquement et politiquement, auprès de Louis XVI. Il mettait de toute façon rarement les pieds à Monaco, partageant son temps de règne entre la cour de Versailles où il a son rond de serviette et son hôtel particulier à Paris, le désormais célèbre Hôtel de Matignon (1). Le véritable « patron » de la Principauté est alors le général de brigade Jean Michel de Millo. Né à Monaco, plus « principiste » que le Prince, fidèle depuis toujours aux Grimaldi, il est le leader naturel du club monégasque des Feuillants, partisan, comme celui de Paris, d’une monarchie constitutionnelle. Ce qui lui fera gagner son surnom de « Lafayette monégasque ».
Face à Millo, s’active une petite bourgeoisie révolutionnaire qui, pour prendre le pouvoir, cherche à briser l’alliance objective, cimentée par le catholicisme, entre l’aristocratie monégasque et la paysannerie mentonnaise. Elle est représentée, par l’avocat Fornari et le fiscaliste Trémois, fondateurs, à Monaco, de la société patriotique « Les Amis de la liberté » sur laquelle, à Nice où elle a été créée, s’appuie l’armée républicaine. Se référant au décret conventionnel de décembre 1792 qui « proclame la liberté et la souveraineté des peuples dans tous les pays où les troupes de la République ont porté les armes », ils convoquent, le 13 janvier suivant, des « assemblées primaires » et font placarder dans la Principauté une déclaration qui débute ainsi : « Citoyens !Vous voilà arrivés au plus heureux instant où une nation puisse aspirer. Assez longtemps vous avez courbé votre tête asservie sous les ordres d’un individu qui ne connaissait d’autre loi que sa volonté, que vous preniez pour un autre Dieu sur la terre. Assez longtemps vous avez idolâtré des êtres que la nature avait formé vos égaux mais que votre ignorance vous a fait croire au dessus des autres (…) Les droits de l’homme ont été ensevelis sous les ruines de l’antiquité mais le temps n’a pu les détruire. Ils sont sortis de la superstition et de l’esclavage (…) et leur lumière pénétrante va bientôt éclairer les hommes les plus avilis par la verge du despotisme (…)Liberté ,égalité , souveraineté voilà vos droits ! »
Ainsi donc, le 13 janvier 1793, l’assemblée populaire réunie sur le Rocher, prononce la déchéance des Grimaldi, fait le vœu que Monaco, Roquebrune et Menton soient « réunis » à la France, propose, en attendant qu’il soit exaucé, que la « ci-devant Principauté » se mue en République ! Monaco est rebaptisé Fort Hercule. Une semaine plus tard, le 21 janvier, Louis XVI est guillotiné. « Un roi doit régner ou mourir » avait argumenté le montagnard Saint Just, arrachant ainsi, d’une voix à la Convention girondine, une majorité pour la mort. Qu’en sera-t-il alors d’Honoré III ?
La Convention va dans un premier temps, le 31 janvier 1793, se prononcer pour le rattachement du Comté de Nice à la France. Puis le 14 février suivant est formé le département des Alpes Maritimes. Dans un rapport annexe, Lazare Carnot prône la « réunion » de la « ci-devant Principauté » à la République. Deux chargés de mission sont nommés pour organiser ce 85° département de la République française. Le juriste Grégoire Jagot , député de l’Ain, sera chargé de mettre en place une administration. Henri Grégoire, abbé et franc maçon, ancien député du clergé aux Etats Généraux de 1789, élu ensuite dans le Loir-et-Cher, sera le Commissaire politique de la mission.
Son premier acte est la rédaction d’un rapport très critique sur le comportement révoltant (vols, pillages) des soldats de la République et sur les exactions commises dans le haut pays au prétexte de lutte contre les Barbets(2). Quant à Honoré III, il n’est pas en odeur de sainteté auprès de l’abbé : « les rois sont dans l’ordre moral ce que les monstres sont dans l’ordre physique et leurs cours sont des ateliers du crime, le foyer de la corruption et la tanière des tyrans » pense-t-il. Il devra cependant tenir compte bientôt du résultat des élections municipales de mars 1793.
Si à Menton et à Roquebrune des pro-Révolution deviennent maires, à Monaco, Millo reste en place. Il a bataillé ferme, en février, contre le décret de décembre qui selon lui, « ne concerne pas une Principauté qui a l’honneur d’être sous la protection de la France depuis 150 ans ». Il a contesté aussi deux articles qui concernent la gouvernance de la Principauté : la suppression des droits de péages dans l’ex duché du Valentinois (propriété de Honoré III ) et la dissolution de l’état major de la place. La riposte des révolutionnaires ne s’est pas fait attendre. Dans une motion adoptée par la société populaire de Menton, «le 24 février de l’an II de la République », les signataires se disent prêts à prendre les armes « contre les agents du ci-devant despote de Monaco(…) qui ourdissent des trames odieuses et cherchent à séduire le peuple, afin de le tenir en esclavage ».Pour sa part le général Biron , commandant de l’armée d’Italie, nomme au commandement de Fort Hercule, « le citoyen Barry, lieutenant-colonel du 11° régiment d’infanterie ».Plus politique encore est la réponse de l’abbé Grégoire qui qualifie « d’acte de rébellion contre révolutionnaire » le maintien de Millo : deux mois après , seulement , la création du département des Alpes Maritimes, il annonce la tenue d’ élections législatives !
Le 17 avril 1793, sont élus députés des Alpes Maritimes, l’avocat niçois Dabray, le philosophe trinitaire Blanqui et dans la circonscription qui comprend Monaco, le commerçant mentonnais Massa, tous républicains. Alors les tensions s’apaisent. Une dernière provocation de Millo, demandant « de l’argent pour Monaco, pour payer son sel et son vin » n’attire qu’une réponse ironique de Grégoire : « je demande à Monaco si elle veut vraiment que la France accorde à cette commune le privilège exclusif inouï (…) que l’argent de la Nation soit consacré à son approvisionnement en vin ! ». Accusé cependant de continuer à faire de Monaco « un foyer d’agitation contre révolutionnaire » le général est mis au frais à Paris avec toute sa famille. Son mentor suit le même chemin. Poursuivi pour « haute trahison » Honoré III est, en juillet 1793, arrêté à Blois où il s’est retiré et emprisonné à la Conciergerie. Ses biens sont mis sous séquestre. Il aura régné pendant 60 ans !
Lors de son procès, en janvier 1794, il sera tenu compte de son grand âge et du fait qu’il n’ait jamais manifesté l’intention d’émigrer. Il est condamné à la prison à vie mais libéré dès octobre suivant. Il meurt, d’une crise cardiaque, en son hôtel de Matignon, le 12 mai 1795.Vingt ans plus tard (Traité de Paris, mai 1814) Honoré IV, fils de son père, monte sur le trône monégasque. Mais en 1815 (Conférence de Vienne), les cartes européennes sont redessinées après la déchéance de Napoléon. La Principauté est attribuée au royaume de Piémont Sardaigne.
Par deux fois au cours des siècles suivants (1860 et 1945) la question de la « réunion » de la Principauté à la France ou sa constitution en République sera posée. Sans jamais trouver, comme en 1793, de réponse tranchante.
Philippe JEROME
(1) Vendu par Honoré IV à un banquier, racheté par Talleyrand, passé de main en main jusqu’en 1934 où il devient la résidence du Président du conseil des ministres (aujourd’hui Premier ministre)
(2) Héros pour les uns, bandits pour Anselme, les Barbets étaient des montagnards armés, combattant l’armée française d’occupation. Le général sera mis à la retraite d’office après le rapport Grégoire.