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1929, SOUS LE PALAIS LA PLAGE.

Hiver 1929 : le jeune avocat Jean Médecin, tout juste élu maire de Nice, inaugure, en bord de mer, le Palais de la Méditerranée, nouveau temple des plaisirs pour la bourgeoisie. L’instituteur communiste Virgile Barel rêve, lui, de transformer la Côte d’Azur en « Crimée française », paradis balnéaire pour prolétaires. Carnaval est toujours là pour les hivernants mais la saison estivale devient prédominante.

Par Philippe JEROME

 

La révolution bolchévique (1917) qui met à bas le tsarisme, puis le traité de Versailles (1919) qui a pour conséquence le démantèlement des empires allemand , austro-hongrois et ottoman, transforme l’aristocratie qui fit, avant guerre, les beaux jours de Nice, en une espèce de clientèle en voie de disparition. Sur la Côte d’Azur, l’hôtellerie de luxe, pilier de son industrie touristique, en est particulièrement affectée. Une quarantaine d’établissements sont rayés de la carte entre 1922 et 1925. La construction durant les années 1920, d’hôtels de taille moyenne ne compense que partiellement la transformation de certains de ces palaces en appartements (Le Righi) ou en lycée (Le Parc Impérial). Les professionnels de la profession s’interrogent sur l’avenir de l’industrie touristique à l’instar de M. Revel, le président du Syndicat des Hôteliers Niçois, s’adressant ainsi aux responsables du Syndicat des Grands Hôtels :« par quelles manifestations d’élégance particulière, la belle clientèle pourrait-elle être attirée ? Est-ce la chienlit carnavalesque où règne le régime du pince fesses ? Est-ce les miteuses batailles de fleurs rehaussées par la présence de quelques charmantes pensionnaires de maisons de rendez vous ? C’est à pleurer de honte ! Notre clientèle a des goûts plus raffinés, messieurs les dirigeants ! ».

Une des réponses à la crise de ce capitalisme hôtelier va venir de …Juan-les-Pins, petite station balnéaire fondée dans les années 1880 à la demande d’un enfant de la reine d’Angleterre. Sur la Côte d’Azur il y avait le ciel et le soleil, mais en hiver seulement. Il y aura désormais la mer, en été . En 1926, le richissime américain Frank Jay Gould , fils du roi du rail US, fait bâtir, entre pinède et plage, un hôtel de 290 chambres , « Le Provençal » en s’associant avec le « Napoléon de l’hôtellerie », le Suisse Joseph Aletti (1). Dans le même temps, avec le casinotier Edouard Baudoin, il rénove le cercle de jeu de Juan pour le transformer en « Casino d’été ». La clientèle visée : cette bourgeoisie commerçante et industrielle qui a gagné la guerre, qui a échappé à la grippe espagnole (plusieurs millions de morts en Europe) et qui est en quête de fêtes et de plaisirs nouveaux.

Les beaux jours revenus, FJG reçoit dans sa somptueuse « Villa America » le gratin de la culture et des arts, organise les premiers défilés de mode en plein air. Bains de mer et sports nautiques connaissent un engouement considérable. Sur les hauteurs ruinées de Cimiez à Nice on se dit alors que le roumain Negrescu avait vu juste en installant son hôtel en bord de mer !

Ainsi le tourisme azuréen, du mitan des années 1920 au Front populaire va vivre un changement d’époque. La saison estivale devient prédominante. Durant ces « années folles », écrivains, vedettes de cinéma ou de la chanson, industriels et nouveaux riches viennent se montrer sur la Prom’ ou sur la Croisette. En septembre 1927, la grande danseuse Isadora Duncan meurt dans une décapotable roulant sur la Promenade des Anglais, la nuque brisée par son châle qui s’est pris dans une roue arrière…L’écrivain Scott Fitzgerald dépense des fortunes au casino. Le jeu est la nouvelle religion des grands bourgeois et des artistes argentés. Le Palais de la Méditerranée sera leur temple. Le dandy américain, le taulier suisse et le flambeur français seront, à nouveau, les grands prêtes de ce « culte du soleil » que décrit l’écrivain John Dos Passos.

Le Palais ouvre ses portes le 10 janvier 1929. Pour la soirée inaugurale, animée par le ballet des Plaza Tiller Girls, est servi un repas de mille couverts , fleuri par cinq cents orchidées importées par avion de Hollande et illuminé par trente mille ampoules dissimulées dans des candélabres en forme d’anémones de mer …Le milliardaire américain a investi vingt millions de dollars dans ce palais où tout ne doit être que luxe, volupté …et culture aussi, pour se donner peut être bonne conscience .Outre les salles de jeux (ouvertes en février …après le théâtre) et de restaurant , les architectes , Dalmas père et fils ,ont fait aménager plusieurs salles de spectacle. Dès la première semaine de fonctionnement de cet établissement qualifié par  L’Eclaireur de Nice   de « plus somptueux casino du monde »  sera donné une pièce de Marivaux .

Rien n’est trop beau pour mettre à l’aise le joueur. Derrière la façade néo-classique décorée par le sculpteur Sartorio, classée (en 1989) monument historique pour empêcher sa démolition (2) d’immenses salles aux plafonds haut de quatorze mètres s’ouvrent sur la Baie des Anges grâce à de larges baies vitrées .Vitraux et mosaïques de sol de la fameuse maison Labouret agrémentent les intérieurs qui renferment près de trois mille meubles originaux et sont traités en style Art-Deco. Représentatives de ce style très à la mode dans les années 1920, les grandes ferronneries à l’intérieur et sur la façade sont considérées comme les plus belles jamais construites. Particulièrement remarquable est la rampe du grand escalier, de la dentelle en fer forgé symbolisant un courant marin ascendant dont chaque panneau ouvragé pèse 200 kg. Lors de la démolition du Palais, au début des années 1990, elle fut vendue au prix de la ferraille à un galeriste niçois ! Dans la grande salle de restaurant et au bar «  La Frégate » les lustres sont en verre de Venise. Deux groupes en bronze commandés au sculpteur Maubert, ornent l’atrium d’entrée. Le tout forme « un surprenant ensemble de merveilles accumulées » écrira L’Eclaireur .

Cette cathédrale moderniste attire, du monde entier, les adeptes du « chemin de fer » ou du  « trente et quarante » qui peuvent également jouir, en bord de mer, de nombreuses représentations théâtrales, de concerts et d’opéras , de galas de variétés ainsi que de spécialités gastronomiques dans l’esprit de la cuisine bourgeoise d’Auguste Escoffier (3). Et la recette est bonne puisque le chiffre d’affaires du Palais, dès sa première saison se monte à 22 millions de francs, nettement supérieur à celui du vieux casino de la Jetée Promenade qui lui fait face sur la Prom’.

Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, ni le krach de 1929, ni un violent incendie en 1933 encore moins les bouleversements sociaux et politiques du Front Populaire, n’arrêteront la progression de cet établissement dont la construction a marqué un tournant dans l’histoire du tourisme sur la Côte d’Azur. L’avocat Jean Médecin sera le relais et le promoteur de ce nouveau tourisme, de loisirs et d’affaires, qui mise avant tout sur la riche clientèle internationale. Il remporte les élections municipales de décembre 1928, en tant que « Républicain modéré » sur une liste ne comportant, au premier tour, qu’un nom, le sien !, et prend ses fonctions de maire en janvier 1929.

A la même époque ,son principal opposant, l’instituteur Virgile Barel, co-fondateur du PCF dans les Alpes Maritimes, effectue avec une délégation syndicale, un voyage d’étude en URSS.A Moscou l’enseignant rencontre la veuve de Lénine , qui fut la première ministre de l’Education de ce jeune pays, né en 1924.Mais c’est son séjour en Crimée qui éblouit l’homme politique. A Yalta ( jumelée avec Nice, juste après la Seconde guerre mondiale) il visite un ancien domaine de feu le grand duc Nicolas et à dans la commune balnéaire de Gourzuf, un camp de « pionniers ».A son retour, dans une brochure ironiquement intitulée « A Moscou ! » il ne cache pas son enthousiasme : « (En Crimée) nous avons trouvé des travailleurs qui se prélassent , sont soignés, goutent quelques semaines de repos (…) De jeunes prolétaires passent l’essentiel de leur temps en de longues baignades en mer, s’instruisent en regardant la nature (…) On guérit grâce à la

salubrité de l’air marin et aux soins de médecins dévoués ». Ce qui frappe surtout le futur député du Front Populaire, c’est la ressemblance géophysique en cette presqu’île baignée par la Mer Noire et son cher Comté de Nice méditerranéen. « La Crimée c’est la Côte d’Azur russe » résume-t-il. Partisan de la « République française des soviets » Virgile Barel n’aura de cesse de militer pour transformer la Côte d’Azur en « Crimée française » sorte de paradis soviétique pour la jeunesse et le prolétariat français : « les camarades soviétiques ont vraiment compris les vacances ! Le mois de repos joue dans la destinée de chacun un rôle organique. On s’adonne au repos comme à une hygiène corporelle. Après un pareil régime on peut travailler onze heures d’affilée ! ».

Utopie ? En tout cas le 4 août 1936, Virgile Barel , fondateur de «  l’Association pour le tourisme populaire » ( futur Tourisme et Travail) , accueille en gare de Nice le « premier train amenant des ouvriers en vacances » comme le décrit, étonné, le reporter du Petit Niçois. Dès lors la Côte d’Azur et ses plages ne seront plus réservées aux riches, du moins pendant le temps des congés payés.

  1. Propriétaire du Majestic à Nice il est aussi à la tête de la Société des grands hôtels de Vichy dont le fleuron est l’hôtel du Parc , qui abritera pendant l’Occupation le … « gouvernement de Vichy ».

 

  1. Après dix ans de « guerre des casinos » et malgré plusieurs mois de grève avec occupation, le Palais où étaient employés quatre cents salariés, est fermé en 1978. En 1989, juste avant de s’enfuir en Uruguay, le maire Jacques Médecin signe le permis de démolir. Grace à une mobilisation populaire la façade est sauvée in extremis par le ministre de la Culture Jack Lang.

 

  1. A voir, dans sa ville natale de Villeneuve Loubet, le remarquable musée consacré au « roi des cuisiniers ».