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LA LOI DE SÉPARATION DES ÉGLISES ET DE L’ÉTAT


(Conférence prononcée en 2005 dans les Hautes Alpes)

 

 

Plan

Introduction

1905, achèvement de la construction républicaine

1ère partie

Les enseignements de la Révolution

1.1. L’Etat n’a aucun fondement transcendantal

1.2. La liberté et l’égalité sont des absolus qui n’ont de bornes qu’eux-mêmes

1.3. Les premières de ces libertés sont la liberté d’opinion et la liberté d’expression

1.4. Reculs et avancées

2è partie

La loi de séparation

2.1. La rupture des relations avec le Saint-Siège

2.2. Les débats et l’adoption de la loi

2.3. La mise en œuvre de la loi

3è partie

Questions vives

3.1. Un siècle d’application

3.2. Evolutions et enjeux

En guise de conclusion…

Laïcité ouverte ? Plurielle ?…

Bibliographie


 

 

Introduction

1905, achèvement de la construction républicaine


 

Il y a 100 ans, le 3 juillet 1905, la loi de séparation des églises et de l’Etat était adoptée par la Chambre des députés par 341 voix contre 233. Elle sera votée par le Sénat le 6 décembre par 181 voix contre 102, et promulguée le 9 décembre. C’était l’aboutissement d’un long parcours. L’étude en commission avait duré près de deux ans (11 mars 1903 – 4 mars 1905) et avait intégré de nombreux projets déjà déposés. Au terme de celle-ci, le rapporteur Aristide Briand se félicita de ce que « le projet [de loi] finalement adopté fût l’œuvre de la commission tout entière [composée de 17 députés de gauche et de 16 députés de droite]… les membres de la minorité collaborant loyalement, avec un zèle persistant et une entière sincérité, avec leurs collègues de la majorité, à la recherche des solutions proposées  ». Le débat à la chambre des députés, quant à lui, dura encore près de neuf mois (21 mars 1905 – 9 décembre 2005) et entraîna une discussion « parmi les plus riches qu’ait connues le régime parlementaire  ».

 

Il y a au moins trois raisons de commémorer cette loi :

L’ampleur, la richesse et l’intensité tout à fait exceptionnelles, peut-être même uniques, du travail en commission et des débats parlementaires ;

A l’inverse, le fait, non moins exceptionnel, qu’une loi qui a véritablement déchaîné les passions au moment de sa discussion, en est arrivée, un siècle après, à faire consensus, ou peu s’en faut ;

Enfin, il faut considérer l’intention des promoteurs de la loi : ils veulent mettre un point final – plus d’un siècle après la Révolution – à la construction de la République laïque ; c’est un programme qui mérite l’attention.

 

La loi de séparation intervient dans un contexte politique très particulier, dont elle constitue très largement la conséquence. La France sort de l’Affaire Dreyfus. Au terme d’une enquête bâclée, un innocent – mais d’origine juive – a été condamné injustement par les lois de la République . Il en découle une crise aiguë de la démocratie et de la République. Deux blocs de valeurs vont s’affronter et diviser profondément le pays. D’un côté, les dreyfusards, partisans des principes de la DDHC ; de l’autre, les anti-dreyfusards, mettant en avant un nationalisme xénophobe et l’anti-parlementarisme. Ces derniers ont comme facteur d’unité le catholicisme ou, pour être plus précis et plus juste, la catholicité comme instrumentalisation idéologique du catholicisme. L’affaire, qui va conduire à une lutte frontale entre les forces laïques et l’Eglise, se terminera par la victoire des dreyfusards et conduira – sur le terrain politique – à la formation par Emile Loubet d’un gouvernement de défense républicaine. Restait à savoir ce que le pays, dans ses profondeurs, pensait de tout cela. La réponse ne tardera pas : aux élections générales de 1902, le Bloc de Défense Républicaine obtient la majorité absolue (366 députés élus contre 233 à la droite), ce qui confirmait avec éclat le soutien populaire à la fois aux grandes réformes républicaines déjà entreprises, au premier rang desquelles la loi de 1901 sur les associations, et aux hommes qui avaient pris la défense du capitaine Dreyfus. Au cœur du programme de la nouvelle majorité figure, bien sûr, la question des relations entre la République et l’Eglise. L’œuvre de construction républicaine pouvait se poursuivre avec ce que Jean Jaurès appelait « la grande réforme de la séparation, la plus grande qui ait été tentée depuis la Révolution Française ». Les forces politiques prêtes pour cette grande œuvre étaient variées : socialistes (Jean Jaurès), gauche démocratique (Aristide Briand), républicains modérés (Louis Barthou). Tous avaient le sentiment qu’ils achevaient – un bon siècle après la Révolution – la construction de la République laïque, libérant ainsi l’énergie de la Nation pour les grandes réformes sociales qu’elle attendait.

Quels étaient donc les enseignements que ces hommes tiraient de la Révolution ?

 

RESUME de l’introduction

Il s’agit de mettre un point final, un siècle après la Révolution, à la construction de la République laïque.

Une loi qui est très largement la conséquence du contexte politique créé par l’Affaire Dreyfus.

Une loi adoptée après un travail en commission et un débat parlementaires tout à fait exceptionnels.

 

 

 

1ère partie

Les enseignements de la Révolution


 

1.1. - L’Etat n’a aucun fondement transcendantal ; 1.2. - La liberté et l’égalité sont des absolus qui n’ont de bornes qu’eux-mêmes ; 1.3. - Les premières de ces libertés sont la liberté d’opinion et la liberté d’expression ; 1.4. - Reculs et avancées.

 

Les républicains tiraient de la Révolution trois enseignements majeurs, inscrits dans le marbre de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :

 

1.1. L’Etat n’a aucun fondement transcendantal.

Libéré de toute mainmise des religions ou des idéologies, il est fondé sur l’assemblée des hommes-citoyens. Des hommes qui « naissent et demeurent libres et égaux en droits » (art. 1er DDHC). L’Etat n’intervient que pour régler les relations sociales des citoyens, ce qu’on nomme la sphère publique, et garantit à tous, y compris dans la sphère privée, la liberté et l’égalité en droit.

Avec un vocabulaire moderne, on pourrait dire : l’Etat n’est plus dépositaire de telle ou telle conception de la vie bonne ; celles-ci sont renvoyées, désormais, aux options privées. Par contre, il a en charge la justice, c'est-à-dire la construction d’un ordre politique rendant à chacun son dû.

 

1.2. La liberté et l’égalité sont des absolus qui n’ont de bornes qu’eux-mêmes.

A cet égard, dans l’art. 1er de la DDHC (« les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits »), le mot important est « naissent ». La liberté existe en l’homme dès qu’il respire, elle tient à l’être de l’homme , elle est consubstantielle à l’humanité. Cela signifie que la liberté n’est pas quelque chose qui pourrait se négocier, qui pourrait varier en fonction de l’arbitraire du Prince. Elle doit donc être la règle de tout pouvoir.

L’art. 4 de la DDHC s’inscrit dans cette même conception du caractère principiel de la liberté, et en l’articulant avec l’idée d’égalité, quand il dit : « La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de l’homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits ».

Liberté et égalité vont ensemble : les libertés doivent être égales.

 

1.3. Les premières de ces libertés sont la liberté d’opinion (art. 10) et son corollaire la liberté d’expression (art. 11).

Le débat, en 1789, a porté sur la question de savoir si on inscrivait dans la Déclaration la tolérance ou la liberté d’opinion. Inscrire la tolérance c’était en rester à l’édit de tolérance de 1787 qui abolissait pour les protestants les plus inhumaines dispositions de l’édit de Nantes. Déclarer la liberté d’opinion c’était faire la Révolution. Les débats, qui furent dominés par les interventions de Mirabeau  et de Rabaut Saint-Etienne, conduisirent au rejet de l’idée injuste de tolérance – qui met celui qui est toléré au pouvoir de celui qui tolère –au profit de la liberté de penser. L’art. 10 fut ainsi adopté en ces termes : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». Toutes les opinions sont libres, même les opinions religieuses. L’adverbe même a ici deux significations intimement liées : d’une part, même les références transcendantales des religions ne leur confèrent aucun statut particulier et, d’autre part, elles relèvent du droit commun, du même. L’art. 10 contient donc en germe l’idée qu’aucune opinion ne peut se prévaloir de l’appui de l’Etat.

 

1.4. Reculs et avancées.

L’élaboration de la DDHC fut un grand moment, mais très vite de premiers accrocs apparurent :

• La constitution civile du clergé le 21 Août 1790 ;

• La distinction entre égalité civile et égalité civique qui privait les femmes du droit de vote ;

• L’instauration du culte de l’Etre suprême par Robespierre ;

• Le décret de la convention montagnarde du 7 Mai 1794 : « Le peuple français reconnaît l’existence de Dieu, les sanctions de la vie future et l’immortalité de l’âme ».

• Et enfin le Concordat du 8 Avril 1802 par lequel, en échange de l’abandon définitif par l’Eglise du monopole du culte et de toute revendication sur les biens nationalisés, était substituée, à la libre organisation du culte par les fidèles, l’organisation contrôlée et financée par l’Etat.

 

Cela dit, les idées de la Déclaration progressaient, et il y eut aussi des avancées :

• An III → une première séparation des Eglises et de l’Etat :

• Décret du 21 Février 1795 : « La République ne reconnaît ni ne salarie aucun culte et garantit le libre exercice de tous » (formulation reprise par la loi de 1905) ;

• Constitution du 22 Août 1795 : « Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun » ;

• La publication du Code Civil le 21 Mars 1804 met un terme aux divers codes religieux ou particularistes (mais maintient, sur de nombreux points, la femme en situation de mineure légale) ;

• L’éphémère expérience du gouvernement provisoire de la IIe République (Hyppolite Carnot comme ministre de l’Instruction Publique) ;

• La loi sur les associations du 1er Juillet 1901.

 

En 1905, les républicains auront conscience de reprendre l’œuvre de la Première République.

 

RESUME de la 1ère partie

L’Etat n’a plus aucun fondement transcendantal : il est fondé sur l’assemblée des hommes-citoyens libres et égaux en droit.

La liberté et l’égalité sont des absolus qui n’ont de bornes qu’eux-mêmes ; ils tiennent à l’être de l’homme.

La première de ces libertés est la liberté d’opinion (art. 10 de la DDHC) et son corollaire la liberté d’expression (art. 11).

 

 

 

2è partie

La loi de séparation


 

2.1. La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican ; 2.2. La loi ; 2.3. La mise en œuvre de la loi.

 

2.1. La rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège

Après la victoire électorale du bloc de défense républicaine, en 1902, la question n’était plus de savoir s’il fallait faire la séparation mais quand on la ferait. Le Président du Conseil sorti des élections, Emile Combes, ne la voyait pas pour tout de suite : il voulait, certes, préserver l’Etat des intrusions de l’église, mais il souhaitait conserver encore le Concordat et le pouvoir de contrôle sur l’église qu’il donnait à l’Etat. Mais il allait mettre en œuvre une politique qui, combinée avec l’attitude du Saint-Siège, allait précipiter les évolutions, conduisant à la rupture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège et à la loi de séparation dès 1905.

Sitôt arrivé au pouvoir, Combes fait une application particulièrement sévère de la loi de 1901 sur les associations, et notamment de son titre III relatif aux congrégations, qui stipulait qu’aucune congrégation religieuse ne peut se former sans une autorisation législative. Des fermetures d’écoles et d’hôpitaux interviennent dès l’été 1902. Dans la foulée, le Parlement rejette l’essentiel des demandes d’autorisation présentées par les congrégations conformément à la loi de 1901. En juillet 1904, Combes fait voter – avec le soutien de Jaurès – une nouvelle loi interdisant tout enseignement aux congrégations. Pie X  condamna cette loi qui, selon lui, « [détruisait] l’enseignement chrétien fondement principal de toute société civile ».

Dès ce moment, la question de la séparation se pose concrètement. Elle se pose, mais elle ne s’impose pas encore.

Ce qui va précipiter la crise, c’est la visite du Président de la République, Emile Loubet, en avril 1904, au roi d’Italie, Victor-Emmanuel. Cette visite entraîne de la part de Pie X une réaction d’une rare violence. Il réagit en chef d’Etat qui se refuse toujours à reconnaître l’annexion de Rome par le royaume d’Italie en 1870, et qui se considère toujours comme prisonnier au Vatican de l’Etat italien. Le voyage de Loubet est un triomphe. Pie X ne supporte pas l’affront. Il adresse une note de protestation aux puissances catholiques par voie diplomatique. Cette note aurait dû rester secrète, mais L’Humanité réussit à se la procurer et Jaurès la publie dans son journal. Cela va mettre le feu aux poudres. Le 27 mai 1904, la Chambre vote le rappel de l’ambassadeur de France auprès du Saint-Siège à l’écrasante majorité de 427 voix contre 96, ce qui montre que la condamnation de l’attitude du Pape va bien au-delà de la gauche et des républicains. Combes considère que le Pape a déchiré le contrat du Concordat. En juillet 1904, les relations diplomatiques avec le Vatican sont rompues et le 4 septembre Combes déclare qu’il ne reste plus d’autre « voie ouverte aux époux mal assortis » que « le divorce et, de préférence, le divorce par consentement mutuel  ».

 

RESUME de 2.1.

Victoire électorale du bloc de défense républicaine aux élections de 1902 ; Combes Président du Conseil.

Fait une application sévère de la loi de 1901 (titre III).

Loi interdisant tout enseignement aux congrégations.

La visite d’Emile Loubet au Roi d’Italie va précipiter la crise.

Rupture des relations diplomatiques avec le Vatican en juillet 1904.

 

2.2. Les débats et l’adoption de la loi

A présent, la séparation est clairement à l’ordre du jour. On ressort des cartons le projet de séparation conçu l’année précédente par la commission dont le rapporteur était Aristide Briand. Combes présente son propre projet, suivi par d’autres élus.

On hésite encore sur le type de séparation à faire car beaucoup hésitent à se priver de l’instrument majeur du Concordat qu’est le contrôle de l’Etat sur l’Eglise.

C’est alors que le scandale des fiches  met fin au ministère Combes. Maurice Rouvier lui succède en janvier 1905.

Le départ de Combes calme les esprits et permet d’ouvrir la voie de la séparation à partir du texte élaboré par la commission Briand.

En déposant son rapport, le 4 mars 1905, Aristide Briand avait déclaré qu’il fallait une séparation loyale et complète, garantissant la liberté de conscience et de culte, rendant l’Etat à son rôle, qui n’est pas de décider du dogme, et accordant à l’Eglise ce à quoi elle avait droit comme toute association.

La discussion générale s’ouvre le 23 mars et dure jusqu’au 10 avril. Quelques évidences s’imposent rapidement : d’une part, l’intransigeance des députés catholiques de droite – relayés par l’Eglise – qui montent à la tribune pour dénoncer un complot de la franc-maçonnerie et de la libre-pensée ; d’autre part, les surenchères et l’isolement de l’extrême gauche antireligieuse ; et enfin, le soutien possible des républicains modérés à une séparation libérale. Briand doit bien constater que son projet ne satisfait vraiment personne, mais il peut espérer, néanmoins, rassembler une majorité sur un texte de compromis. Telle sera sa ligne de conduite tout au long des débats qui s’engagent : chercher une voie médiane. Mais avec une conséquence redoutable : il lui faudra se méfier en permanence des intransigeants de gauche et de droite ! Il installe d’emblée le débat sous le signe d’un affrontement entre une Eglise intransigeante et une République pacifique. Il est implacable avec ceux qui, à droite, rejettent en bloc la séparation, donnant ainsi des gages à sa gauche, mais appelle régulièrement les modérés à améliorer un projet de loi libéral pour mieux rassembler l’ensemble des républicains. L’exercice d’équilibrisme va durer ainsi six mois. Les embûches ne manqueront pas, mais grâce à sa sûreté d’analyse et à son grand pouvoir de conviction – et puissamment aidé par Jaurès – Briand les surmontera toutes.

Après la discussion générale, commence l’examen des 37 articles du projet de loi, Je vais commenter les quatre premiers en m’attardant particulièrement sur les articles 1 et 2, qui sont essentiels .

Les deux premiers articles, regroupés sous le titre « Principes », formulent deux principes fondateurs indissociables : la liberté de conscience et l’égalité de tous les cultes devant la loi.

► Article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Les principes qu’édicte cet article (liberté de conscience et libre exercice des cultes) avaient été admis lors de la discussion générale et ils ne donnèrent pas lieu à d’amples débats. Briand se contente de dire que toute adjonction à cet article ne pourrait qu’en atténuer la portée, qu’en affaiblir la force. L’article sera adopté sans modification. Sa grande portée résulte du fait qu’il établit une liberté publique essentielle en la concevant au seul niveau de généralité qui convient, c'est-à-dire la liberté de conscience, et non au niveau des différents types d’options spirituelles (conviction religieuse, conviction agnostique, conviction athée). Dans cet article 1er, la liberté de culte est une version de la liberté de conscience. J’insiste sur cet aspect parce que l’une des grandes lignes de structuration du débat autour de la loi de 1905 tient à la manière de traiter la liberté religieuse, comme cas particulier de la liberté de conscience ou comme unique liberté qui vaille. Cette seconde option se traduit souvent par l’emploi de la notion de liberté religieuse en lieu et place de celle de liberté de conscience. Il y a là une substitution subreptice qui est l’une des embûches de la littérature sur ce sujet.

Dans cet art. 1er il faut également souligner la grande pertinence des verbes employés  : « La République assure la liberté de conscience … Elle garantit le libre exercice des cultes … ». Deux verbes différents, non pas pour éviter une répétition mais pour marquer une différence de visée. Assurer la liberté de conscience (liberté individuelle) c’est la protéger par des dispositions juridiques : la puissance publique pose un principe et prend les dispositions juridiques pour qu’il puisse devenir une réalité. Garantir le libre exercice des cultes (liberté collective) c’est s’engager à en réunir les conditions concrètes ainsi qu’à contrôler leur sûreté et leur pérennité. Il ne s’agit plus de poser le principe d’une liberté individuelle, mais de permettre l’exercice effectif d’une liberté collective. La République assure la liberté de conscience, mais elle ne peut la garantir : après tout, on peut très bien ne pas être preneur de cette liberté-là. Mais la République garantit le libre exercice des cultes. En effet, pour tous ceux qui souhaitent exercer un culte, la République doit faire plus que poser un principe : il faut en garantir l’exercice. Il faut à la fois assurer et garantir.

Cette distinction que fait l’art. 1er entre liberté de conscience (que l’on assure) et liberté d’exercice des cultes (que l’on garantit) constitue un écho assourdi d’un débat qui a eu cours tout au long du XIXe siècle sur les rapports entre ces deux libertés : liberté du « for interne » (liberté de conscience) et liberté du « for externe » (liberté d’exercice des cultes). Jacqueline Lalouette indique  que « pour les uns, la liberté de conscience existait même sans la liberté des cultes ; pour d’autres, les deux libertés étaient indissociables et, sans la seconde, la première n’était qu’une formule creuse et vide de sens ». L’art. 1er tranche clairement. Ses formules faussement simples sont en fait ciselées dans le marbre et ses mots sont chargés de significations lourdes et denses. On va voir qu’il en est de même pour l’art. 2.

► Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimés des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumôneries et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons ». Dans cet article également tous les mots comptent.

« La République ne reconnaît… » : cela doit s’entendre en un sens juridique. Il s’agit de reconduire les religions à la sphère privée, d’en faire des options spirituelles libres et facultatives. Cela ne veut pas dire que l’on va ignorer les religions. Cela veut dire qu’il n’y aura plus des cultes reconnus – disposant d’un statut de service public – et des cultes non reconnus. Tous les cultes seront à égalité dans la République. Là encore, le choix des mots n’est pas anodin. L’expression « ne pas reconnaître » fait écho – pour la dénoncer – à la reconnaissance qui figurait dans le Concordat .

La République ne reconnaît aucun culte : pour autant, les religions restent autorisées à s’exprimer dans l’espace public (cf. art. 1er : « La République assure… garantit…»), mais elles perdent toute emprise sur l’espace public (art.2). Corollairement, l’Etat s’interdit désormais d’intervenir dans le domaine religieux. Comme disait Victor Hugo : « L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle ».

« …ne salarie… » : la réassignation de la religion à l’espace privé va de pair avec le refus de salarier les responsables officiels du culte. Un Etat républicain ne peut salarier que ses fonctionnaires, dédiés à ce qui est commun à tous.

« …ni ne subventionne aucun culte » : l’exercice du culte correspondant à des fins particulières et personnelles, il ne saurait recevoir de l’argent public.

Le « ne salarie ni ne subventionne… » a aussi un passé. Il fait écho à l’article 344 de la Constitution de l’an III, adoptée le 22 août 1795 : « Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d’un culte. La République n’en salarie aucun ».

Les articles 1 et 2 sont inséparables. La République assure la liberté de conscience (art. 1er), et, pour cela, elle ne doit reconnaître aucun culte (art. 2). Pour assurer la liberté (art. 1er), elle doit se fixer comme règle l’égalité (art. 2). La complémentarité des deux articles s’exprime logiquement jusque dans les différences de formulation : forme positive pour l’art. 1er (« La République assure… garantit… »), forme négative pour l’art. 2 (« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne… »). La liberté s’entend de tous et pour tous, et elle est indissociable de l’égalité.

► L’article 3, qui prévoyait l’inventaire des biens des établissements publics du culte et celui des biens de l’Etat, fut adopté sans problème. Cet article était rendu indispensable en raison du fait que depuis le Concordat les édifices religieux étaient propriété de l’Etat, et mis à la disposition des établissements publics du culte. Il fallait donc savoir ce qui appartenait à ces établissements publics dans la perspective de leur suppression et de la dévolution de leurs biens aux associations cultuelles créées par la loi. C’est cet article qui, un an plus tard, sera à l’origine de la crise des inventaires.

► L’article 4, par contre, posa beaucoup de problèmes et fut même l’occasion d’un moment d’une grande intensité dramatique. Il aborde la question de la dévolution des biens aux nouvelles associations cultuelles. Le débat achoppa sur la formulation de l’article. Les adversaires de la séparation ne voulaient pas que cet article ouvre à des obédiences hostiles à l’église romaine des possibilités de schisme. Les débats feront rage pendant six jours et on en sortit grâce à la conjonction de la créativité et de la force de conviction de Briand et de Jaurès. L’article 4 modifié obtiendra 482 voix contre 52. Jaurès s’exclamera à l’issue du vote : « La séparation est faite ! ». La Chambre se sépare pour les vacances de Pâques.

Il y aura bien d’autres péripéties jusqu’au 3 juillet, mais je m’en tiens à ces quatre articles.

 

RESUME de 2.2.

A. Briand cherche une voie médiane susceptible de recueillir le soutien des modérés de tous bords.

Deux articles essentiels :

Art. 1er : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… » → liberté de conscience.

Art. 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… » → égalité de tous les cultes devant la loi.

 

2.3. La mise en œuvre de la loi

La loi de séparation prévoyait un délai d’un an pour dresser les inventaires (art. 3) et constituer les associations cultuelles (art. 4).

Les cultes protestants (luthérien et calviniste) et judaïque ne posèrent pas de problèmes. Leurs associations cultuelles furent constituées dans les mois qui suivirent l’adoption de la loi et prirent la suite des établissements publics, les inventaires eurent lieu et la dévolution des biens se fit.

Il en alla tout autrement pour le culte catholique.

95% des inventaires se passèrent très bien, mais les cinq autres % (quelques milliers quand même) défrayèrent la chronique de façon spectaculaire. Les opposants à la loi exploitaient une phrase maladroite de la circulaire publiée sur le sujet et qui prescrivait aux agents chargés des inventaires de demander aux prêtres présents à l’opération d’ouvrir les tabernacles. En plusieurs endroits, se produiront des troubles très violents. Dans le Pas-de-Calais, il y aura même mort d’homme. On marchait sur la tête : une exigence légitime de recensement des biens publics – qui, il faut le rappeler, n’avait pas posé problème au moment du vote de l’article 3 – se trouve transformée en violence faite à la religion. Mais Clémenceau, devenu Ministre de l’Intérieur , s’emploie à calmer les esprits et les incidents cessent. Il a cette formule particulièrement frappante : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ».

En ce qui concerne les associations cultuelles, le problème est différent. Il ne s’agit pas là de l’exploitation à des fins médiatiques et partisanes, par des groupes extérieurs à l’Eglise, d’une opération délicate. Il y a, sur les cultuelles, une opposition déterminée de l’Eglise catholique elle-même. Soyons précis : opposition déterminée du Pape, auquel les évêques de France – malgré qu’ils en aient – emboîtent le pas. L’intransigeance papale, en effet, n’est pas partagée par tous les évêques. Certains voient dans la loi le moyen pour l’Eglise d’être libérée de tout souci politique, en acceptant de ne plus être la religion de l’Etat et en cessant de réclamer des privilèges et l’appui de la loi. A leurs yeux, les catholiques doivent montrer qu’ils sont des citoyens comme les autres.

Ce point de vue est manifestement partagé dans de larges secteurs de l’opinion, y compris catholique, puisqu’aux élections de mai 1906 les radicaux gagnent 60 sièges et atteignent la majorité absolue à la Chambre. La réaction de Pie X ne se fait pas attendre : il refuse tout compromis et rejette les associations cultuelles. La situation juridique devenait intenable pour les catholiques car faute de cultuelle l’Etat devait, en principe, procéder au transfert des biens par décret. Dans l’attente, ils sont néanmoins placés sous séquestre. Mais Briand fait une ouverture : les églises resteront à la disposition des prêtres, qui seront considérés comme des « occupants sans titre et sans droit administratif » mais qui pourront y célébrer librement le culte à condition que soit faite une simple déclaration en application de la loi de 1881 sur les réunions publiques. L’ouverture est refusée par le Pape. Mais Briand ne se décourage pas. Il fait voter la loi du 2 janvier 1907 qui précise qu’à défaut de constitution d’une association cultuelle « les édifices affectés à l’exercice public du culte continueront à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ». Il déclare au Sénat : « quoi que fasse l’Eglise catholique, quelles que soient ses arrières-pensées et ses désirs secrets, il lui sera impossible de sortir de la loi ; elle sera dans la légalité malgré elle ».

La concession de 1907 sera complétée en 1908 par une loi du 13 avril attribuant aux communes la propriété des églises provenant des anciens établissements publics du culte catholique.

 

RESUME de 2.3.

Les cultes protestants et judaïques constituent leurs associations cultuelles, les inventaires ont lieu et les biens des établissements publics sont dévolus aux nouvelles structures.

Le culte catholique ne constitue pas les cultuelles ; querelle des inventaires.

En mai 1906, les radicaux gagnent 60 sièges et atteignent àeux seuls la majorité à la Chambre.

Briand fait une série de concessions pour obliger l’Eglise à rester « dans la légalité malgré elle ».

 

 

3è partie

Questions vives


 

3.1. - Un siècle d’application de la loi ; 3.2. - Evolutions et enjeux.

 

3.1. Un siècle d’application de la loi

L’Eglise campera dans son refus de la loi et ne constituera pas les associations cultuelles. C’est la Grande Guerre qui va changer la donne. La solidarité des tranchées et l’union nationale vont relativiser les passions. La France a d’autres urgences. Les relations diplomatiques entre la France et le Vatican sont rétablies en 1921. Des négociations s’engagent aussitôt pour régler la question des associations cultuelles. Un accord sera trouvé en 1924 : la République accepte que les associations diocésaines se substituent aux associations cultuelles et le Pape Pie XI donne son aval au nouveau système.

Vingt ans de disputes prenaient fin, mais pour un résultat qui en valait la peine puisqu’au final l’esprit de la laïcisation restait respecté.

Quinze ans plus tard, sous le régime de Vichy, ce sera la remise en cause. Vichy s’affranchit du principe de non-reconnaissance des cultes et noue des relations privilégiées avec l’Eglise catholique. Dès décembre 1940, l’évocation des « devoirs envers Dieu » est rétablie dans les écoles publiques. Quelques semaines plus tard, en janvier 1941, est instauré un enseignement religieux facultatif. Les départements sont autorisés à accorder des subventions aux établissements privés. En ce qui concerne les congrégations, la loi de 1901 (Titre III - congrégations soumises à un régime d’autorisation) est assouplie et la loi Combes de 1904 (membres des congrégations interdits d’enseignement) est abrogée.

A la Libération, l’esprit de la Résistance pousse à la réconciliation entre ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas. La plupart des mesures du régime de Vichy sont conservées, au nom de l’unité nationale. La laïcité acquiert valeur constitutionnelle (constitutions de 1946 et 1958). L’Eglise catholique accepte la séparation et la laïcité.

Tout n’est pas réglé pour autant puisque ressurgit la pomme de discorde du financement public de l’école privée :

En 1948, les décrets Poinso-Chapuis instaurent une aide aux familles nécessiteuses, y compris du privé ;

En 1951, la loi Marie étend au privé le système des bourses d’Etat et la loi Barangé prévoit l’attribution d’une allocation mensuelle par élève du public comme du privé ;

Enfin, le 31 décembre 1959, c’est la loi Debré.

La querelle scolaire ne cessera plus, jusqu’à aujourd’hui, de couver sous les braises.

D’autres sujets de débat récurrents pourraient être évoqués :

La non-application de la loi à l’Alsace et à la Moselle ;

Le fait que les cultes qui ont accepté d’emblée de constituer les associations cultuelles ont finalement bénéficié d’un traitement moins favorable que l’Eglise catholique puisqu’à la différence de cette dernière ils se retrouvent propriétaires des édifices religieux qu’ils utilisent pour leurs cultes et en charge de leur entretien.

 

RESUME de 3.1.

La solidarité des tranchées de la Grande Guerre va changer la donne.

Accord sur les cultuelles en 1924.

Le régime de Vichy remet en cause la séparation du religieux et du politique.

A la Libération, la plupart des mesures du régime de Vichy seront conservées au nom de l’unité nationale.

La laïcité acquiert valeur constitutionnelle dans les constitutions de 1946 et 1958.

La pomme de discorde du financement public de l’enseignement privé resurgit.

 

3.2. Evolutions et enjeux 

 

- La question des nouveaux cultes ; - l’Europe ; - l’intégration ; - le défi communautariste.

 

► La question des nouveaux cultes. Après la 2e Guerre Mondiale, la décolonisation et l’immigration ont changé la donne. Aujourd’hui, de nouvelles populations, souvent devenues de nationalité française, revendiquent le droit de pratiquer leur religion. C’est l’islam qui est ici concerné au premier chef.

Est-il capable de se couler dans le moule séparatiste et laïque français ? La constitution récente du CFCM – quoique faisant courir à l’Etat le risque de sortir des rails de la séparation – paraît porteuse de promesses. Mais la vision de l’islam est incontestablement brouillée en France par sa réalité internationale et par le phénomène du terrorisme. Il n’empêche : nous devons nous poser la question de l’égalité des cultes.

► L’Europe. Nous sommes membres du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne.

En tant que membre du Conseil de l’Europe, nous avons signé la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui définit et garantit « la liberté de pensée, de conscience et de religion ».

Mais la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme semble privilégier la liberté d’expression des convictions religieuses par rapport à la liberté d’expression d’autres types de conviction.

En tant que membre de l’union européenne, la France a demandé que la Charte des droits fondamentaux de l’union européenne ne fasse pas référence à l’ « héritage culturel, humaniste et religieux » de l’Europe. A la place, la Charte fait mention de « son patrimoine spirituel et moral ». Le même genre de problème se pose à propos du projet de traité constitutionnel de juin 2004, qui dit dans son préambule que ses dispositions s’inspirent des « héritages culturels, religieux et humanistes de l’Europe ».

► L’intégration. L’immigration de travail s’est transformée, au XIXe comme au XXe siècles, en immigration de peuplement. Dès lors, se pose la question de savoir comment on fait pour que les populations nouvelles deviennent des composantes de la société française tout en préservant leur identité d’origine. L’exigence de liberté, d’égalité et de fraternité de l’idéal laïque crée toutes les conditions favorables à l’intégration, mais cette condition nécessaire n’est pas suffisante. Elle doit être complétée par la recherche de la justice. Gambetta résumait cela en disant que la République est une forme qui entraîne le fond. La forme : comprendre le droit ; le fond : comprendre la justice. Droit et justice : ce qui vaut pour la République, vaut aussi pour la laïcité.

► Le défi communautariste. Cette question est souvent liée à la précédente. Le déracinement, en effet, toujours douloureux, peut mener au développement de formes de particularismes, surtout si les conditions économiques et sociales d’existence peuvent inspirer un véritable sentiment d’exclusion. Ainsi peut s’expliquer la valorisation de l’appartenance communautaire, jugée concrète et chaleureuse, proche des racines, en opposition à l’Etat et à ses lois froides et inhumaines.

La laïcité n’éprouve aucune difficulté à prendre en compte ce type de lien social fort et particulier. Elle n’entend nullement écraser ou nier les particularismes, mais les situer dans un horizon qui les accueille sans en pivilégier aucun. Singularité et universalité peuvent tout à fait être solidaires. Une condition essentielle à cela, toutefois : que les particularismes en question acceptent de ne pas se muer en instrument de domination des personnes ou d’emprise sur l’espace public au nom de l’identité culturelle.

 

RESUME de 3.2.

La question des nouveaux cultes : décolonisation et immigration ont fait de l’islam une religion fortement implantée en France. Est-elle capable de se couler dans le moule français ?

L’Europe : ce cadre plus hétérogène et plus lache peut permettre la réintroduction de dispositions contraires à la laïcité ; en outre, la jurisprudence de l’Europe privilégie la liberté religieuse par rapport à la liberté de conscience.

L’intégration : comment faire pour que les populations nouvelles deviennent des composantes de la société française tout en préservant leur identité d’origine ?

Le défi communautariste : les particularismes peuvent-ils accepter de ne pas se muer en instruments de domination des personnes ou d’emprise sur l’espace public au nom de l’identité culturelle ?

 

 

 

En guise de conclusion…

Laïcité ouverte ? Laïcité plurielle ?


 

Quelle laïcité aujourd’hui ? une « laïcité ouverte » ? Une « laïcité plurielle » ? Ces expressions, qui ont tout de propositions constructives et modernes, font florès. On les a encore entendues pendant le débat sur la loi de 2004. Mais que peuvent-elles bien vouloir dire ? La notion de laïcité ouverte suggère que la laïcité « tout court » serait « fermée ». Mais fermée à quoi ? A quoi faudrait-il l’ouvrir ? Ouvrir la liberté de conscience à quoi ? Ouvrir l’égalité de toutes les options spirituelles à quoi ? Ouvrir le souci de recherche de l’intérêt général par la sphère publique à quoi ? Que se passerait-il si on se mettait à parler de « christianisme ouvert », de « judaïsme ouvert » ou d’« islam ouvert » ? Laïcité ouverte est en fait une expression polémique dissimulant une remise en cause insidieuse de la laïcité.

Il en va de même pour la laïcité plurielle. La laïcité n’a nul besoin de ce déterminant puisque, par définition, elle permet l’expression libre du pluralisme des options spirituelles, religieuses comme non religieuses, dans le strict respect de l’égalité.

Restons-en donc à la laïcité sans épithète !

Ses trois piliers indissociables (liberté de conscience, égalité de toutes les options spirituelles, priorité accordée par la loi au seul bien commun à tous) en font un idéal de paix et de concorde. La laïcité est un principe d’union de tout le peuple sur la base de la liberté de conscience, de l’égalité de toutes les options spirituelles et de la recherche de l’intérêt général par la sphère publique. Elle résoud le problème des sociétés humaines d’aujourd’hui, qui sont diverses, et qui ont besoin d’un principe d’unité qui ne s’affirme pas au détriment de la diversité. Formulation corollaire du même problème : quel régime d’affirmation de la diversité est compatible avec l’affirmation de l’unité ? Ni le modèle multiculturaliste, ni le modèle théologico-politique (un Roi, une loi, une foi), ni même la tolérance ne constituent des réponses satisfaisantes. Le premier modèle accorde la priorité à la diversité au détriment de l’unité. Le second privilégie l’unité au détriment de la diversité. Quant au troisième, il ne propose qu’une diversité fragile, soumise au bon vouloir de celui qui tolère .

La laïcité doit, certes, être défendue contre les visées cléricales de toutes sortes, mais, dans l’ensemble, elle fait plutôt des progrès. Un signe éclatant en est fourni – pour la France – par la déclaration des évêques de France du 15 juin 2005 dans laquelle ceux-ci écrivent que « la laïcité est apparue, au cours du siècle, comme un régime de pacification des esprits par le droit ». Les attentats du 11 septembre 2001 en ont fait une question mondiale. Les attentats de Londres ont donné également à réfléchir sur les différents modèles d’intégration concevables. Nous sommes loin d’être irréprochables, mais nous pouvons, néanmoins, considérer que notre modèle laïque constitue pour nous une force et un facteur de cohésion. La question, disait le Président de la République, en installant la commission Stasi, n’est ni de refonder la laïcité ni d’en redéfinir les frontières, mais de la faire vivre tout simplement. La crise des banlieues a jeté une lumière crue sur la vérité de ce propos.

L’école a, dans le domaine de la laïcité, un rôle clé à jouer. D’une part, elle doit s’attacher à faire advenir ce qui est commun à tous les hommes, c'est-à-dire la liberté de conscience, c'est-à-dire l’esprit critique. D’autre part, ce doit être une institution spécialement dévolue à l’égalité des chances . Il convient, à cet égard, de méditer le sens profond de l’expression école laïque. L’adjectif laïc, qui vient du grec laos, veut dire non-clerc et désigne le peuple. L’école laïque est et doit donc être l’école du peuple. La laïcité de l’école est donc intimement liée à celle de l’école pour tous, et pas seulement à l’aspect religieux. Se battre pour la laïcité c’est aussi construire l’école pour tous.

 

RESUME de la conclusion

La laïcité est un principe d’union de tout le peuple sur la base de la liberté de conscience, de l’égalité de toutes les options spirituelles et de la recherche de l’intérêt général par la sphère publique.

Elle n’a nul besoin d’être qualifiée (ouverte… plurielle…) ; restons-en à la laïcité sans épithète.

Elle a, certes, besoin d’être défendue, mais elle fait plutôt des progrès.

La question n’est ni de la refonder ni d’en redéfinir les frontières, mais de la faire vivre tout simplement.

Cela est vrai, en particulier, pour l’école ; l’école laïque doit être l’école du peuple, c'est-à-dire de tous ; ce doit être une école dévolue à l’égalité des chances. Se battre pour la laïcité c’est aussi construire l’école pour tous.